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de l’enseignement ferait pardonner la trivialité du récit. Quoi qu’il en soit, la date de la publication de ces notes motive suffisamment notre blâme, et la critique pourra toujours justement reprocher à l’auteur d’Une Année en Espagne, d’avoir été sincère et véridique avant le temps.

M. Didier rappelle en finissant cette pensée de Vico : « Que l’humanité procède par voie de succession, jamais par saccades. » — « C’est ainsi qu’a procédé, ajoute-t-il, la révolution espagnole depuis 1830, et l’on doit remarquer que, malgré les mauvais vouloirs et les obstacles, malgré l’impéritie des chefs et les fautes de tout le monde, elle n’a pas fait, depuis qu’elle est en route, un seul pas rétrograde. » Le livre de M. Didier se résume tout entier dans ce peu de mots. Il a dû à cette conviction de pouvoir embrasser les détails et l’ensemble d’un tableau affligeant sans reculer un instant devant cette tâche pénible. La vue la plus large des hommes et des choses est, en effet, la plus consolante ; aux scènes les plus triviales ou les plus hideuses de l’histoire, elle donne, pour fond majestueux et calme l’éternel mouvement des idées. Une observation moins étendue de la réalité eût provoqué plus d’une fois dans le voyageur le découragement, la colère ou le mépris. Nous apprécions donc complètement la manière de voir de M. Didier ; son travail, autrement compris, eût certainement manqué d’élévation et de sérénité.

La phrase de M. Didier ne manque pas de nombre ni d’éclat. Le caractère distinctif de son style est le sérieux. Dans les parties les plus familières de son œuvre, ce caractère ne se dément pas. Quelquefois même cette gravité continue dégénère en tension et en monotonie. Toutefois Une Année en Espagne est moins reprochable à cet égard que Rome Souterraine, où de très belles pages péchaient par l’exagération.

Au surplus, ce qu’il nous importe surtout de constater en finissant, c’est la valeur de ce livre, comme recueil de faits et de renseignemens sur l’état moral de l’Espagne. C’est à ce titre qu’il mérite surtout de réussir. L’étude des mœurs mène directement à la connaissance des hommes, à l’intelligence de l’histoire. Cette étude a été trop négligée jusqu’à ce jour dans les travaux auxquels la révolution espagnole a servi de sujet. La critique doit donc tous ses encouragemens aux œuvres qui, comme celle de M. Didier, peuvent nous ramener à une étude plus sérieuse et à une plus grande clairvoyance des évènemens.


M. Grandville vient de terminer la tâche difficile qu’il avait entreprise ; dans les spirituelles compositions qu’il a dessinées pour les Fables de La Fontaine[1], il a su concilier heureusement la vérité des modèles et l’expression des caractères humains figurés par les personnages du fabuliste. Ce système d’interprétation poursuivi avec une finesse, une originalité constantes, assure à cette publication un succès durable. L’exécution des gravures et l’élégance du texte ne laissent d’ailleurs rien à désirer.


F. BULOZ.
  1. vol. in-8o, H. Fournier aîné, rue de Seine, 16.