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dont la ressemblance avec certaines scènes actuelles de la vie italienne est frappante. Quand il peint l’affluence du peuple qui célèbre la fête du saint, tous se prosternant devant le tombeau, et allumant à l’entour des autels une grande quantité de lampes et de cierges[1], on croit assister à une de ces fêtes qui attirent de si loin les populations. C’est un pélerinage italien au ive siècle ; Rome seule fournissait douze mille pélerins. Cette ressemblance est encore plus saillante dans un récit de saint Paulin évidemment calqué sur celui du paysan qui en est le héros. Il lui a conservé fidèlement ses sentimens et son langage.

En lisant saint Paulin, on croit voir et entendre un bouvier des environs de Naples. Voici un extrait de cette grotesque, mais curieuse narration :

« Un homme de Nola avait des bœufs qui lui étaient plus chers que ses enfans (piu che figli). Il vient à saint Félix, et l’apostrophe avec cette liberté que les gens du peuple, dans son pays, emploient très souvent vis-à-vis de leur protecteur céleste : « Je prendrai le gardien même de l’église pour un de mes voleurs ; et toi, ô saint ! tu es mon coupable ; tu es leur complice, tu sais où sont mes bœufs, rends-les-moi, et arrête mes voleurs. »

C’est bien comme ces paysans italiens qui injurient leurs madones, comme ce matelot qui plongeait les pieds de la sienne dans la mer quand le temps était à l’orage, la menaçant, s’il venait une tempête, de la noyer tout-à-fait. Ainsi notre homme apostrophe familièrement le saint, et exige le miracle dont il a besoin. Cependant il devient un peu plus traitable, il se radoucit, et propose un marché (conveniat tecum, facciamo l’accordo). « Partage avec moi ; prenons chacun ce qui nous appartient ; pour toi, délivre le coupable ; pour moi, rends les bœufs. Eh bien ! c’est convenu, tu n’as plus de motif de retard, hâte-toi de me tirer de peine ; car j’ai la résolution bien arrêtée de ne pas m’en aller que tu ne m’aies secouru. Ainsi dépêche-toi, ou bien je laisserai ma vie sur le seuil ; et si tu ramènes les bœufs trop tard, tu ne trouveras plus personne à qui les rendre. » Ce dernier trait rappelle un autre mouvement d’éloquence méridionale. Un prédicateur portugais tirait d’un sentiment analogue un effet qui, bien que bizarre, ne manquait pas d’une certaine grandeur. Il disait à Dieu, en lui demandant d’arrêter les progrès de l’hérésie :

« Si tu ne les arrêtes pas, si, dans quelque temps, l’hérésie a couvert l’Espagne, on demandera aux jeunes garçons : « Quelle est votre

  1. Nat., III.