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AUSONE ET SAINT PAULIN.
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religion ? » ils répondront : « Nous sommes luthériens. » On demandera aux jeunes filles : « Quelle est votre religion ? » elles répondront : « Nous sommes luthériennes. » Alors, je le sais, tu te repentiras, mais il sera trop tard. »

« Ce suppliant un peu rude, dit saint Paulin, ne déplut pas au martyr ; cependant il ne se presse point d’obéir aux injonctions du paysan. Mais celui-ci s’opiniâtre, il reste sur le seuil, le couvre de son corps prosterné ; le soir, on l’en arrache avec violence, on le chasse, il va dans son écurie, et là, son désespoir, les plaintes et les tendresses qu’il adresse à ses bœufs absens, ont une chaleur toute italienne, toute napolitaine, qui a certainement été prise sur le fait. Enfin saint Félix se laisse toucher. Les bœufs reviennent, les caresses du maître et des animaux respirent encore l’impétueuse vivacité du caractère italien. Le paysan ramène ses bœufs en triomphe aux pieds du saint. Mais il n’est pas content ; et sans craindre d’abuser de sa patience : « Bon martyr, dit-il, je suis devenu presque aveugle à force de pleurer, hier de tristesse, aujourd’hui de joie ; tu m’as rendu mes bœufs, rends-moi la vue ? » Les assistans rient ; mais Félix lui accorde encore cette faveur.

Cependant le ve siècle allait commencer, et il allait commencer par la mort de l’empire romain. Les Goths étaient près de fondre sur l’Italie. Paulin, au tombeau de saint Félix, ne s’alarmait point des évènemens qui bouleversaient le monde ; et dans les pièces de vers de ces années d’invasion, le sentiment de confiance et de courage que lui donnent la foi et la protection de son saint chéri communique à sa poésie un beau caractère d’enthousiasme. « Que la guerre frémisse au loin, que la paix et la liberté demeurent à nos ames, je le chanterais encore (saint Félix), quand je serais soumis aux armes gétiques ; je le chanterais joyeux parmi les Alains farouches ; et quand mille chaînes et mille jougs m’accableraient, l’ennemi ne pourrait jamais joindre à la captivité de mes membres la servitude de mon ame. Dans les fers des barbares, mon libre amour adresserait à Paulin les vœux qu’il me plairait de lui adresser[1]. »

On sent, en lisant ces vers, que le christianisme a donné aux ames un point d’appui contre les calamités effroyables qui vont fondre sur le monde avec les Barbares.

Au milieu de ces menaces de la guerre, Paulin était occupé à bâtir à saint Félix une nouvelle église, beaucoup plus grande que l’an-

  1. Nat., VIII.