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vrai. C’est ainsi, par exemple, qu’en Allemagne, Bürger, avec quelques ballades, a été plus populaire, dans le sens absolu du mot, que Klopstock avec ses odes énergiques et sa Messiade. C’est ainsi que Schiller a encore plus de lecteurs que Goëthe. C’est ainsi qu’en Angleterre la chanson légère de Thomas Moore l’emporte encore sur la poésie profonde de Wordsworth. Avant que nous en venions à juger la poésie comme œuvre d’art, selon ses qualités essentielles, et non pas selon des prétentions étroites ou des préférences trop rigoureuses, que de progrès n’avons-nous pas à faire !

Tegner a peu écrit, et tout ce qu’il a écrit n’est pas encore publié. Il n’existe jusqu’à présent de lui que deux volumes imprimés : Smœrre Dikter (petits poèmes)[1], et Frithiofs saga[2]. Le premier renferme les pièces lyriques écrites à différentes époques, et dispersées dans plusieurs recueils. Ce sont des poésies de circonstance, des chants patriotiques et des odes élégiaques. Les poésies de circonstance ont peu d’intérêt. L’évènement qu’elles célébraient est loin de nous, et l’homme dont elles devaient illustrer la mémoire est déjà oublié. Les chants patriotiques sont écrits avec fermeté et énergie. Il y a là bien des strophes que les Suédois ne liront pas sans émotion, et qui vivront toujours parmi le peuple. Les odes élégiaques sont une expression plus fidèle et plus complète de l’individualité du poète. C’est là qu’il épanche son ame, c’est là qu’il laisse toute sa vie intérieure se refléter comme dans un miroir. Sa poésie est souvent semblable à ces paysages du Nord, où les rayons de soleil les plus purs apparaissent à travers un rideau de feuillage sombre. Elle est grave et mélancolique, mais forte dans sa mélancolie. Quand il s’attriste, il ne perd pas toute résolution ; quand il pleure, il ne désespère pas. Une noble fermeté le soutient, et une pensée religieuse l’élève au-dessus des agitations du moment. Il indique à un jeune homme le chemin qu’il doit suivre dans la vie, et il lui dit : « Appuie-toi sur le bâton de l’espérance ! apprends et réfléchis ! puis lève-toi, et combats pour les hommes avec la parole, avec l’épée ! Sois méconnu, sois haï, mais presse encore les hommes sur ton cœur déchiré[3]. »

Il pense à ses inspirations de poète, et, pour avoir plus de force, il élève ses regards au ciel :

« Soleil qui as fui loin de moi, voici que tes rayons éclatent de nouveau au sommet des montagnes. Je veux t’invoquer avec les my-

  1. vol. in-8o, Stockholm, 1823.
  2. vol. in-8o, Stockholm, 1825. La cinquième édition a paru en 1831.
  3. Till en Yngling.