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LES CÉSARS.

Mais voici une imagination plus belle encore. Pourquoi la mer ne lui obéirait-elle pas comme la terre ? L’astrologue Thrasylle autrefois avait osé dire que Caligula ne régnerait pas plus qu’il ne galoperait sur le golfe de Baya. Eh bien ! il va galoper sur le golfe depuis Baïes jusqu’à Pouzzole pendant une distance de cinq quarts de lieue : il fera un pont sur la mer : il rassemble de toutes parts des vaisseaux de charge, les fait ancrer sur deux rangs, et sur eux élève, non pas son pont, mais sa route : c’est bien une route véritable, sur le modèle de la voie Appia, construite en terre et en pierre, avec des auberges, des lieux de repos, jusqu’à des ruisseaux d’eau fraîche pour boire. Tant de vaisseaux furent réunis là, qu’il en manqua pour porter le blé à Rome, et Rome, qui ne vivait que de blés étrangers, prit son parti de mourir de faim, pourvu que son maître galopât sur la mer.

Il était là en effet accomplissant la prophétie de Thrasylle, faisant d’abord des sacrifices, surtout à l’envie, de peur, disait-il, que les dieux ne fussent jaloux de lui ; puis, sur un cheval caparaçonné, la couronne de chêne sur la tête, tout armé, vêtu de la chlamyde d’or et d’une cuirasse qu’il disait venir d’Alexandre, s’avançant sur le pont suivi de son armée, le traversant et allant coucher à Pouzzole. Le lendemain, il revient de Pouzzole à Baïes. Le voilà sur le pont, en habit du cirque, sur un char que traînent les chevaux les plus célèbres dans les jeux ; après lui les voitures de ses amis, les prétoriens, l’armée, le peuple. À moitié chemin, il monte sur un trône, y prononce son propre panégyrique, récompense les compagnons de ses dangers. Ce pont passé et repassé était pour lui une grande guerre accomplie.

Il resta là toute la journée et la nuit suivante. Ce devait être un beau spectacle : toute la côte, tout le pont, les bateaux dont la mer était couverte, portaient des flambeaux allumés ; partout on y faisait des festins. C’est une belle fête que la fête de Caïus, et ceux qu’il y a invités peut-être en ce moment chantent ses louanges de bon cœur. Mais le maître est rassasié, prenez garde, il va changer de plaisir ; à la mer les convives, maintenant que la fête est finie ! à la mer les amis, les prétoriens, le peuple ! Si quelques-uns cherchent à remonter sur les bateaux, à coups de rames repoussez-les à la mer ! Malheureusement pour Caius la mer était calme, la plupart se sauvèrent à la nage.

Mais l’impossible était cher. Il fallait remuer les millions à la pelle, et les millions manquaient. En un seul repas, s’il en faut croire Sé-