Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/762

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
758
REVUE DES DEUX MONDES.

par ses compagnons ; s’il y avait quelque sanglante mission à accomplir, César, qui avait aperçu en lui un peu de compassion, qu’il nommait de la faiblesse, ne manquait pas de l’en charger.

Un jour, au milieu des jeux du cirque, le peuple s’avisa de se lever, de demander une diminution des impôts. Au cirque, d’ordinaire, l’empereur et le peuple, réunis par la même passion, s’entretenaient, se familiarisaient, demandaient, s’accordaient l’un à l’autre. Cette fois, Caïus s’irrita de la familiarité, lâcha ses prétoriens sur le peuple, fit couler le sang. Chœrea, témoin de ce massacre, plus irrité encore de ses propres outrages, n’eut pas de peine à trouver, parmi les officiers même du prétoire, de vieux Romains qui n’avaient pas encore oublié la république, ou des hommes qui sentaient leur vie menacée tant qu’ils ne mettraient pas fin à celle de Caïus : il se forma une conspiration.

Les occasions ne manquaient pas : Caïus se montrait chaque jour en public ; il allait au Capitole offrir des sacrifices pour sa fille, ou, seul, il allait célébrer quelque superstitieux mystère, ou enfin il jetait de l’or et de l’argent au peuple du sommet de la basilique Julienne, du haut de laquelle Chœrea voulait qu’on le précipitât. Mais les conjurés étaient en trop grand nombre ; les uns avaient des objections contre un jour, d’autres contre un autre ; Chœrea s’impatientait : « Croyez-vous donc, disait-il, que le tyran soit invulnérable ?»

Caïus, cependant, songeait toujours à son voyage d’Égypte ; l’Égypte était sa terre favorite, lointaine, grandiose, adulatrice, idolâtre. Avant de partir, il donnait des jeux en l’honneur d’Auguste : la foule était immense, désordonnée ; Caïus avait supprimé toutes les distinctions de places entre les sénateurs et les chevaliers, les maîtres et les esclaves, les hommes et les femmes ; il aimait cette confusion. Ce jour-là, il était gai, affable même, faisait jeter des fruits au peuple, et se divertissait à le voir se battre pour les ramasser. Mnester, son mime favori, celui qu’il passait son temps à embrasser au théâtre, celui qu’on ne pouvait interrompre par le plus léger bruit, sans être fustigé de la main même de l’empereur, Mnester dansait. Quant au prince, il buvait et mangeait en regardant les jeux, donnait à manger à ses voisins, entre autres à un consul, qui, assis à ses pieds, les baisait sans cesse ; lui-même devait, à la nuit, paraître et danser sur le théâtre. Mais en goûtant ces ignobles plaisirs, il ne remarquait pas de sinistres présages : le sang avait coulé sur la scène, la robe du sacrificateur avait aussi été tachée de sang ; la tragédie que l’on dansait (comme disaient les Romains) était