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le temps. Il députait à Claude, Claude répondait qu’il n’y pouvait rien, qu’il était contraint par la force ; réponse mesquine, mais peut-être habile.

S’il y avait habileté, il faut dire d’où elle venait. Les Césars comptaient à leur cour, je dirais presque dans leur mobilier, Agrippa, roi des Juifs, monarque à la suite, homme à romanesques aventures, prisonnier et condamné à mort sous Tibère, favori sous Caïus. Dans la nuit même qui suivit le meurtre, il était venu en cachette et à la hâte donner une sépulture à son bienfaiteur ; de là il court auprès de Claude, toujours aussi secrètement, le rassure et le fortifie, lui persuade de garder l’empire. — Agrippa était encore au camp, lorsqu’on lui annonce que le sénat le fait appeler ; le sénat, dans son embarras, ne savait à qui demander conseil. En peu d’instans, le roi diplomate peigne ses cheveux, parfume sa barbe, et, frais et paré comme un homme qui sort de table, qui n’a pas quitté sa maison, qui ne sait rien, n’a rien vu, ne s’est mêlé de rien, demandant ce qu’il y a, ce qu’est devenu Claude, ce que veulent les pères conscrits, paraît devant le sénat. Quand on l’eut instruit, il donna son avis à son tour. « Il était dévoué, disait-il, à la dignité du sénat, il lui donnerait sa vie ; mais il osait s’informer de ses ressources. Les gardes de la ville, les esclaves armés, gens nouveaux à la guerre, lutteraient-ils contre de vieux soldats comme les prétoriens ? » Ainsi décida-t-il une nouvelle ambassade à Claude, se fit nommer pour accompagner les députés, vit ceux-ci tomber aux genoux de Claude pour le supplier de n’accepter au moins l’empire que du sénat, les laissa faire, parvint à voir Claude en secret, lui donna de meilleures raisons encore pour tenir ferme, le fit répondre en homme décidé, et le quitta haranguant ses soldats et distribuant de l’or.

Le sénat, repoussé dans ses tentatives d’accommodement, était donc réduit à combattre. Il songeait à affranchir et à armer ses esclaves ; la multitude en était énorme, et cette ressource, au temps de la république, avait plus d’une fois décidé les sanglantes querelles du Forum. Claude, de son côté, protestait qu’il ne voulait pas la guerre ; mais, puisqu’on l’y forçait, « qu’au moins, disait-il, la ville, les temples ne soient pas souillés. Assignez-nous un lieu de combat, hors des murs de Rome. » Quand on propose de semblables conventions, il est probable qu’on n’aura point à se battre.

Qu’était-ce donc, au reste, que le sénat ? Mélange de patriciens dégénérés, d’hommes nouveaux, d’affranchis, de barbares, de quel droit se prétendait-il successeur de l’aristocratie ancienne ? C’étaient ces