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LES CÉSARS.

cette poltronnerie, cet amour de la bouffonnerie et de colères beaucoup trop sérieuses, ces meurtres sans motifs et ces graces tout aussi peu motivées, ont frappé les écrivains anciens comme moi : Caïus est l’opposé de Tibère, aussi capricieux que l’autre est persévérant, aussi fou que son oncle est politique. On veut faire de lui le protecteur des provinces contre Rome, et il pille et massacre horriblement dans les Gaules ; — l’ennemi du génie romain, et il porte en lui ce qui caractérise le mieux ce génie, la dureté des mœurs et les inclinations sanguinaires. C’est un Claudius, âpre et sans cœur comme ses ancêtres. À ce penchant qu’il tient de l’hérédité et de la nature, la suite de sa vie n’a ajouté qu’une seule idée nette, celle qu’il lui faut de l’argent, et que, comme disaient nos terroristes, il se bat monnaie en place de Grève ; le reste de l’homme est de la démence. Voilà mon interprétation, un peu simple et un peu facile, je le confesse.

Et cet homme pourtant ne fut pas seulement supporté, il fut aimé. Il y a peut-être une loi qui veut que les natures les plus dépravées aient un côté plus tendre par lequel elles attirent à elles des natures souvent meilleures. Nous avons vu le juif Agrippa aller la nuit, au péril de sa vie, donner une sépulture aux restes de son maître. Ses sœurs, Julie et Agrippine, bannies, déshonorées par lui, ne revinrent de leur exil, d’où Claude les rappela, que pour transporter les cendres de leur frère dans un tombeau plus honorable. Sa femme Césonie fut plus dévouée encore, femme étrange qui, sans être jeune, sans être belle, mère déjà de trois enfans, avait subjugué l’ame de Caïus, et dont on expliquait l’empire par des philtres qui auraient, en même temps, assujetti le cœur et égaré la raison du prince. C’était elle qu’il montrait à ses soldats, à cheval, ayant le casque et la chlamyde ; c’est à elle qu’il disait dans un accès d’amour sanguinaire : « Je chercherai dans tes entrailles, comme dans celles d’une victime, la raison de cet amour que j’ai pour toi ; » femme perdue de mœurs et ardente de débauche, qui seule avait dompté cette nature de loup cervier, cruelle et sauvage, sans être forte et persévérante. Après la mort de Caïus, elle resta avec sa fille, couchée auprès du corps délaissé de son mari, toute couverte du sang de ses plaies, jusqu’à ce qu’on vînt pour la tuer. Alors elle présenta sa gorge nue, demanda qu’on se hâtât, et mourut avec courage.

Il y a plus, le peuple, au moins le bas peuple, aimait Caïus. D’où venait cet amour ? il est inexplicable. Mais Caïus avait beau lui faire comprendre que ses cruautés et ses supplices n’étaient pas du tout un privilége réservé à l’aristocratie ; il avait beau le faire jeter à la