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La première pièce, qui sert à nommer le volume, se compose de plusieurs fragmens biographiques ; mais ces fragmens sont unis entre eux par une étroite parenté, par une signification identique. Maréze, Doudun, Ramon de Santa-Cruz et Aubignié sont destinés à illustrer la pensée du poète, et ajoutent à l’évidence de l’idée qu’il a voulu exprimer. Il faut, dit-il en commençant, pour comprendre la vie et pour la régler, un malheur et un devoir, et ce thème une fois posé, il fouille dans ses souvenirs, et il invoque l’exemple des hommes avec lesquels il a vécu, dont il a surpris le secret, dont la conduite, d’abord incertaine et livrée au hasard, a fini par s’ordonner harmonieusement suivant les lois de la raison et de la volonté. Maréze était arrivé à trente-trois ans sans avoir accompli un seul de ses désirs. Depuis dix ans il luttait contre la pauvreté en épuisant, dans un labeur qui lui répugnait, toutes les forces de son intelligence, toutes les heures de ses journées. Enfin le moment du triomphe est arrivé. Libre désormais d’inquiétude, assuré de l’indépendance pour laquelle il a si long-temps combattu, Maréze va réaliser le rêve de ses jeunes années, il va tenter la gloire de la tribune ou la popularité du poète. Il ne sait pas encore s’il se complaira dans la peinture des passions, ou s’il se mêlera au mouvement des affaires, s’il traduira sa pensée en vers harmonieux ou s’il discutera les questions d’intérêt public ; quoi qu’il fasse, il ne peut manquer d’atteindre le bonheur ; il le croit du moins, car il se connaît, il a mesuré ses facultés, et il sait qu’il n’a qu’à vouloir pour pouvoir. Mais au moment où il s’apprête à quitter le labeur ingrat pour commencer l’œuvre glorieuse, sa sœur, qu’il n’avait pas vue depuis long-temps, sa sœur, qu’il croyait heureuse, riche du travail et de l’affection de son mari, sa sœur vient frapper à sa porte. Elle est veuve, elle est ruinée ; demeurée seule avec son enfant, elle a compté sur son frère, et Maréze a compris qu’il doit renoncer à la gloire, à la puissance, pour se dévouer tout entier au nouveau devoir qu’il n’avait pas prévu. Il jette au vent la cendre de ses espérances, et il recommence pour sa sœur la vie d’abnégation qu’il croyait achevée ; il oublie les triomphes de la poésie et de l’éloquence ; il renonce à charmer, à gouverner les hommes ; il abdique la royauté avant d’avoir touché la couronne. Et pour que rien ne manque au sacrifice, il rembourse de ses deniers une somme considérable qu’une de ses clientes avait placée, sur sa recommandation, chez un homme qui vient de lever le pied. Il se retrouve donc comme au début de sa carrière, seul, pauvre et nu. Mais la conscience du devoir qu’il accomplit soutient son courage et double ses forces ; peu à peu il com-