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rigueur d’Espartero que tout le monde n’a pas favorablement jugée. Cependant il est à noter que l’adresse du sénat contient aussi, sur ces mesures destinées à rétablir et à venger la discipline militaire, un paragraphe où elles sont applaudies sans réserve, ce qui indique la profonde horreur que tous les honnêtes gens avaient ressentie des assassinats de Saarsfield et d’Escalera. Les armées espagnoles avaient besoin de ces terribles exemples. Elles ont trop souvent, depuis les premiers jours de la guerre de l’indépendance, impunément donné celui du meurtre de leurs généraux, comme s’il les dédommageait des privations ou des revers de la campagne.

La guerre civile n’est pas très active en ce moment. Dans les provinces du nord, on se tient des deux côtés sur la défensive ; mais on se prépare à une campagne sérieuse pour l’époque de la reprise des opérations. Les carlistes conservent la plupart des positions qu’ils ont occupées et fortifiées, et le comte de Luchana vient de reconnaître qu’il fallait renoncer à rompre, dans l’état actuel des choses, leur principale ligne. La mauvaise saison se passera donc à s’observer, en recevant, au milieu du travail de réorganisation des deux armées, le contre-coup, heureux ou malheureux, des évènemens politiques du dehors. Sur tous les autres points du royaume les bandes rebelles font toujours à peu près ce qu’elles veulent, parce qu’elles ne tentent plus de grandes opérations, et que les généraux constitutionnels suivent la même tactique. L’Estramadure est la seule province où le mal se soit aggravé. Les factieux y ont pris un accroissement considérable et communiquent avec le Portugal d’où ils tirent même quelques ressources, parce qu’ils ont dans leurs rangs des officiers miguélistes. On s’en plaint également à Madrid et à Lisbonne ; mais les deux gouvernemens de la Péninsule manquent de force pour faire mutuellement respecter leurs frontières, et il n’y a pas de jour que les correspondances du Portugal et d’une partie de l’Andalousie avec Madrid ne soient interceptées et brûlées. Déjà les cortès, avant de s’engager dans la discussion de l’adresse, ont demandé des explications au ministère sur la longue impunité de ces brigandages. On devine bien ce que répond le ministère, ce qu’il promet, et le peu qui résulte de pareilles interpellations, dont les chambres espagnoles ne sont pas assez sobres.

Le cabinet présidé par M. Bardaji, qui en est à la fois le chef et le seul homme sérieux, paraît devoir bientôt faire place à une administration qui réunirait un plus grand nombre de notabilités libérales et de capacités de tribune. On désignait, il y a un mois, M. le duc de Gor, membre du sénat, comme devant être mis à sa tête, et ce choix eût fait honneur à la reine régente. Il aurait d’ailleurs été agréable aux deux gouvernemens de France et d’Angleterre. Mais aujourd’hui, sans vouloir dire que cette combinaison soit abandonnée, il est permis de croire que la rentrée en Espagne de MM. de Toreno, Isturitz, Cordova, et autres personnages influens du parti modéré, aura eu pour effet d’en faire soumettre l’idée à une nouvelle discussion ; et s’il faut en dire toute notre pensée, nous craignons maintenant que beaucoup d’intrigues ne tardent pas à se renouer autour de la reine, à la faveur d’une situation qui encourage toutes les espérances et provoque toutes les prétentions. Du moins on peut affirmer d’avance que l’ambassade de France y restera complètement étrangère.

Au milieu de cette évolution des partis en Espagne, qui a fort inutilement