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PENSÉES D’AOÛT.

plus à lutter contre le danger, la pauvre jeune femme sentira ses forces diminuer de jour en jour. La présence de celui pour qui elle pouvait faillir exaltait son courage et doublait son énergie. Maintenant, elle n’a plus rien à craindre, elle n’a plus besoin de veiller sur elle-même ; elle a résisté, elle a vaincu, sa tâche est achevée, elle quittera la vie comme un vêtement usé. Assurément, ce récit touchant ne donne pas raison à Mme de T. S’il était permis de fouiller dans les archives des familles, on verrait l’amour désespérer, abréger la vie de bien des hommes ; car les femmes n’ont pas le privilége de la souffrance. Mais il y aurait de l’injustice et de la puérilité à chercher dans un poème une démonstration méthodique.

Ce qu’il importe de noter, c’est la simplicité des moyens employés par l’auteur pour produire une émotion profonde. Dans la Pensée d’août, dans Monsieur Jean, dans la pièce à Mme de T., M. Sainte-Beuve ne paraît pas s’élever au-dessus du procès-verbal. Il nomme les choses et les hommes par leur nom ; il énumère les évènemens comme pourrait le faire un greffier. Il a l’air de transcrire les faits plutôt que de les raconter. Mais l’art du narrateur, quoique caché, n’en est pas moins sûr. Le récit va si lentement, et affiche si peu de prétentions que le lecteur le suit avec une entière confiance. Peu à peu cependant les figures se dessinent, le paysage s’éclaire, les plans s’ordonnent, et la sympathie est acquise à l’auteur. Il n’est pas facile de découvrir comment il s’y est pris pour intéresser, mais il intéresse, et, selon nous, c’est le point important. Tous les détails vivans ou inanimés sont empreints d’une telle vérité, chaque chose est si bien à sa place, que l’incrédulité ou le doute sont impossibles. Nous ajoutons foi aux paroles du poète précisément parce qu’il n’a pas l’air de vouloir nous dominer. Il parle simplement, et nous l’écoutons ; de sentimens vrais, et nous sympathisons avec lui. Les pensées qu’il exprime naissent du sujet, semblent ne pouvoir s’en détacher, et nous acceptons ces pensées comme nôtres.

Les nombreux sonnets qui séparent les pièces de plus longue haleine sont conçus et exécutés d’après la même méthode que les trois récits dont je viens de parler ; c’est pourquoi je crois inutile de les analyser. Mais il y a dans le nouveau recueil de M. Sainte-Beuve deux poèmes d’un genre purement didactique, deux épîtres adressées, l’une à M. Villemain, l’autre à M. Patin, qui se détachent nettement du fond général du volume, et qui méritent une étude spéciale. À proprement parler, ces deux épîtres sont un retour vers la sobriété poétique du xviie siècle ; les idées s’y enchaînent et se déduisent avec une sorte