Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
PENSÉES D’AOÛT.

Malheureusement le style du nouveau volume de M. Sainte-Beuve est loin d’avoir la même clarté, la même transparence que le style des Poésies de Joseph Delorme et des Consolations. À ne prendre que le fond des pensées, en allant au cœur de chaque pièce, comme nous l’avons fait, il y a beaucoup à louer, et le lecteur partage facilement l’émotion de l’auteur. Mais il est permis de craindre que cette sympathie ne soit pas générale, car il y a entre la pensée de M. Sainte-Beuve et l’intelligence qui veut l’atteindre un nuage qui commencera par fatiguer l’attention, et qui finira peut-être par exciter l’impatience. À force de multiplier les nuances, M. Sainte-Beuve abolit la couleur ; il procède presque toujours par demi-teintes, et l’œil, faute de rencontrer un ton franc, ne sait où s’arrêter. L’obscurité du style des Pensées d’août tient de trop près aux procédés de l’intelligence pour qu’il ne soit pas utile de la signaler et de l’expliquer. Il est évident que l’auteur continue de penser pendant qu’il parle, qu’il regarde en même temps qu’il peint, qu’il n’attend pas la fin de l’émotion pour la traduire. De là naît la confusion du style. Il ne peut venir à l’esprit de personne de contester à M. Sainte-Beuve une connaissance parfaite de la langue, mais par les habitudes, par les procédés de son intelligence, il se place dans la nécessité de méconnaître et de violer les lois qu’il a si laborieusement étudiées, et si habilement appliquées dans les Poésies de Joseph Delorme et dans les Consolations. Dans la crainte de refroidir l’expression de sa pensée, il s’applique à prendre sa pensée sur le fait et il la transcrit lorsqu’elle n’est pas encore achevée ; il ne consent pas à écrire de mémoire, et cependant c’est le seul procédé légitime, le seul qui permette à la pensée d’être claire et transparente. Sans doute il peut arriver aux passions, à la colère, à la jalousie par exemple, de rencontrer l’éloquence sans la chercher, et d’exprimer clairement les tortures de l’âme ; mais cette éloquence toute de situation, cette éloquence fatale, involontaire, échappe à l’analyse et n’a rien de commun avec l’art d’écrire, avec les procédés du style ; car si la passion ne se possède pas, l’écrivain doit se posséder. La passion est une puissance irresponsable, ignorante d’elle-même, incapable de se juger ; l’art d’écrire exige l’application simultanée de l’imagination et du raisonnement. L’imagination trouve les comparaisons, le raisonnement les juge et les ordonne. Mais pour que ce procédé trouve son emploi, il est nécessaire de ne commencer le travail de l’expression qu’après avoir achevé le travail de la pensée. À cette condition seulement, le poète est certain d’être compris, ou du moins il met toutes les chances de son côté. Réunir