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bla que sa mère était encore là, invisible, mais toujours implacable et veillant sur ses moindres actions. Dominé par cette espèce de vision d’enfant, il alla prendre son châssis et ses couleurs, vint s’asseoir près de la porte, et se mit à dessiner avec autant d’ardeur que si Catherine Brauwer l’eût observé.

Il travaillait depuis une heure, lorsqu’il vit une ombre s’étendre sur son esquisse. Il leva la tête et rencontra les regards d’un vieillard qui s’était arrêté près de lui et étudiait son dessin avec attention.

— Qui t’a donné des leçons ? demanda l’étranger.

— Personne, monsieur.

— Quel âge as-tu ?

— Treize ans.

— Que font tes parens ?

— Je n’en ai plus.

Le vieillard regarda encore le dessin.

— Je suis le peintre Hals, reprit-il enfin ; viens avec moi, je serai ton maître et je prendrai soin de toi.

Au milieu de toutes les misères d’Adrien, la pensée qu’il pourrait un jour devenir peintre avait parfois traversé son esprit, mais comme un rêve trop beau pour y croire. On juge quel effet la proposition de Hals dut produire sur lui. Le vieux professeur profita de ce premier enivrement pour l’emmener, et le lendemain Brauwer était établi dans l’atelier de son patron avec les nombreux élèves auxquels celui-ci donnait ses soins.

L’année qui suivit fut pour Adrien une année d’ivresse, car la peinture lui dévoila une à une toutes ses ressources. La peinture n’était point encore devenue un sujet de discussions esthétiques ; persuadés qu’imiter la nature était le meilleur moyen de reproduire la vie dans toutes ses expressions, les artistes s’étaient adonnés tout entiers à l’étude de la forme, et quand ils étaient parvenus à faire respirer le bois ou la toile, quand ils y avaient répandu toutes les graces ou toutes les énergies que Dieu lui-même avait imprimées au front de ses créatures, ils croyaient avoir fait une œuvre de génie. L’art n’avait donc alors rien de métaphysique ; c’était le résultat d’une contemplation perspicace, une sorte d’intuition naïve aidée d’études patientes, d’essais multipliés et d’adresse pratique.

Brauwer n’eut point par conséquent à s’égarer dans des inspirations fantastiques ; il chercha l’art, comme Dieu avait dit de chercher la vérité, avec la foi des petits enfans. Toujours l’œil fixé sur le monde extérieur, il s’efforçait d’en saisir la forme, le mouvement.