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REVUE MUSICALE.

c’est le génie de l’exécution. Il Matrimonio, la Gazza, Otello, quelles pièces toujours nouvelles ! Quelles charmantes premières représentations qui reviennent tous les ans ! Vous écoutez à votre aise, le cœur dispos et l’humeur joyeuse de n’avoir pas à vous défier des applaudissemens ; rien ne trouble votre admiration, ni les discours d’un voisin qui juge, ni le souvenir du feuilleton de la veille. La critique a dit là-dessus tout ce qu’elle avait à dire. Elle s’est tue, Dieu merci ; l’œuvre reste, et c’est l’œuvre que vous respirez. À travers les passages admirés si souvent, vous découvrez des beautés plus simples auxquelles vous n’aviez pas pris garde encore. Tout cela s’accomplit sans travail ni fatigue. Chaque note a son écho dans votre cœur, chaque mélodie éveille en vous un souvenir frais ou mélancolique ; puis, à la fin, lorsque le rideau est tombé pour la seconde fois, que vous avez jeté votre dernière fleur à la Grisi, vous vous retirez paisible et satisfait, n’ayant senti du plaisir que les roses. Il en est des chefs-d’œuvre comme du vin pur : le temps en passant dessus les consacre. Un beau jour ils secouent la poussière qui les couvre, et reparaissent dans tout l’éclat de leur printemps. On écoute, on admire, on applaudit, on s’enivre. Que ceux qui assistaient dernièrement à la solennelle reprise du Matrimonio par cet excellent Lablache, nous disent s’ils connaissent quelque part un rire plus franc et plus loyal, une mélancolie plus agréable, un enthousiasme de meilleur aloi ; c’est là une musique gracieuse entre toutes. La transparence mélodieuse n’exclut pas en elle la force et la chaleur ; elle entraîne les jeunes gens et regaillardit les vieillards sur leurs jambes.

Nous sommes à peine au milieu de l’hiver, et le Théâtre-Italien a déjà repris la plupart des grands ouvrages de son répertoire. Les Puritains ont ouvert la saison, et le public, toujours si curieux de ses plaisirs, a pu se convaincre, dès cette première épreuve, du bon état dans lequel ses chanteurs lui revenaient. Tamburini n’a rien perdu de cette agilité correcte et pure, et de cette expression délicate et suave qui donne tant de charme à son talent. Lablache est plus que jamais ce bouffon admirable, ce comédien sympathique qui porte avec lui l’émotion d’une salle entière, anime, échauffe, rajeunit tout ce qu’il touche, et par un instinct merveilleux qu’il a de découvrir les moindres nuances, jette à pleines mains la variété dans des caractères presque semblables ; grotesque, affublé, ridicule dans le Magnifico de la Cenerentola, plein de bonhomie et de verve sensible dans le Geronimo du Mariage secret. Je ne parle pas de la voix de Lablache ; elle est impérissable ; que voulez-vous que le temps et les saisons fassent sur une voix qui loge en pareille enveloppe ? La cloche de Notre-Dame est exposée aux grands vents et ne s’enrhume pas. Chaque fois que le battant d’airain le sollicite, le métal sonore répond et ne fait