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pure expression musicale. Son intonation sûre et puissante étonnera le premier jour. Je ne dis pas que l’admiration qu’on aura pour lui dans une cabalette ou l’adagio d’un air n’aille pas jusqu’à l’enthousiasme, cependant tout en se familiarisant davantage avec sa manière, on s’apercevra qu’il néglige les ensembles, et ne prend aucun soin des récitatifs ; on sentira que son inspiration ne se répartit pas à mesures égales sur les nuances ; on parlera de Nourrit, toujours si préoccupé des détails ; si complet dans ses rôles ; les critiques s’en mêleront, et l’Italien pourra finir par chanter dans le désert. Je soupçonne que Rubini lui-même, le Rubini de l’Otello et de la Sonnanbula, ferait une fort triste mine dans Robert-le-Diable. À tout prendre, je conçois aujourd’hui le succès d’un Allemand à l’Opéra français, mais non d’un Italien ; car, vous le savez, tout le travail de la musique française lorsqu’elle est en veine d’inspiration, consiste à changer de modèle. Nous étions Italiens avec Rossini, nous sommes Allemands avec Meyerbeer ; la belle gloire en vérité ! Or, ces qualités de composition que l’on exige en France, Nourrit les possède à un degré éminent. Sa voix, pleine et sonore d’ailleurs, pourrait être plus agile, son geste plus naturel et plus simple ; n’importe, tout s’ordonne et se confond chez lui avec tant de goût et d’art, qu’il faudrait être bien mal disposé pour sentir le travail laborieux de sa vocalisation, ou l’emphase de sa pantomime. Ensuite, son activité se porte sur le moindre détail, la moindre note le tient éveillé ; rien ne fait défaut chez lui, ni la voix, ni l’expression, ni la démarche, et pour que l’harmonie soit complète (chose fort grave de nos jours) il se met à ravir. Nourrit est un chanteur français dans la bonne acception du terme. Bien plus, il faut dire que si ce mot de chanteur français ne soulève plus le ridicule même en France, c’est à Nourrit qu’on le doit. Aussi, nous sommes cette fois de l’avis du public, qui le voit avec peine s’éloigner du théâtre, et lui paie d’avance, chaque soir, ses regrets en témoignages gracieux et flatteurs. Après tout, l’Opéra sait ce qu’il perd et ne sait pas ce qu’il gagne. Ce qu’il perd, c’est un acteur intelligent et de bon goût, un artiste plein de zèle et d’amour pour les grands maîtres, très regrettable même lorsqu’on l’aura remplacé.

Il nous semble que l’Opéra devrait aussi s’occuper un peu plus de ses cantatrices ; c’est une chose fort triste à entendre que l’exécution de Guillaume Tell ou de Robert-le-Diable à certains jours de la semaine. Il y a là plusieurs jeunes filles sorties trop tôt du Conservatoire, et qui, dans l’intérêt du talent qu’elles pourront avoir un jour, feraient très bien d’y rentrer au plus vite. Mlle Maria Flécheux chante faux avec une assurance incroyable, Mlle Nau chante juste et n’a pas de voix. Or, par une fatalité bien aisée à concevoir, c’est toujours Mlle Flécheux qu’on entend. Ceux à qui une