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REVUE MUSICALE.

vous plaira. » Si vous êtes bien disposé, si vous avez l’ame épanouie, si rien au monde ne trouble la sérénité de votre humeur, il est fort possible que vous trouviez tout cela charmant d’un bout à l’autre, et ma foi ! vous n’aurez pas tort. D’une autre part, si la moindre chose vous embarrasse ou vous chagrine, s’il fait froid dans la salle, si votre voisin est un lourdaud, vous pesterez tout d’abord contre cette musique ; vous direz que cette instrumentation est vide ou plutôt nulle, que le procédé y remplace à tout instant l’inspiration, que les motifs n’ont de grâce et de fraîcheur que celles que leur donne la voix de Mme Damoreau, et vous aurez raison encore. Que vous trouviez cette musique bonne ou que vous la trouviez méchante, ce sera toujours bien ; ici tous ont raison, excepté pourtant M. Auber, qui pourrait mieux faire.

Maintenant détournez la tête un moment, jetez un regard sur l’année qui s’éloigne, comptez toutes vos jouissances musicales, et dites-nous à qui vous les devez ? dites-nous quels noms nouveaux vous sont apparus dans une auréole d’harmonie ? Aucun, n’est-ce pas ; la vie et la jeunesse sont toujours dans les chefs-d’œuvre des anciens maîtres, nos vieux amis. Vous pouvez bien vous souvenir confusément de vingt partitions, jetées çà et là dans le gouffre sonore ; mais les noms des musiciens, vous les avez tous oubliés. La seule grande et noble partition que l’année ait produite, porte et glorifie un nom déjà consacré, le nom de M. Meyerbeer. Quelle occasion plus belle pour les jeunes talens de monter et de grandir ! Les vieux déclinent ; de tous côtés les regards du siècle cherchent à l’horizon de nouvelles étoiles. Levez-vous donc, génies magnifiques dont on nous fatigue les oreilles depuis tantôt six ans ; au lieu de faire ainsi chanter vos louanges par les autres, chantez-les donc vous-mêmes dans quelque grande œuvre qui vous honore ; prenez votre essor une fois, que l’humanité vous contemple ! N’avez-vous donc des ailes, aigles sublimes, que pour faire du bruit à terre ? Vous qui déploriez tant le système dans lequel sont écrits Semiramide et Guillaume Tell, venez un peu, maîtres, que l’on vous entende ! En vérité, vous tardez bien. Tout cela, c’est à faire pitié ; il y aura toujours des esprits turbulens qui naîtront tout simplement pour inquiéter le règne du génie. Lorsque Goëthe éclairait l’Allemagne de la splendeur de son nom, on n’eût pas trouvé dans les universités de Leipsig ou de Heidelberg un si mince étudiant qui n’eût écrit son article de journal ou son petit livre (Büchlein von Goëthe), touchant la funeste influence que le roi de Weimar étendait sur l’art germanique. Goëthe est mort, et l’on a vu ce que la poésie allemande a fait depuis. Ainsi de Rossini. À les entendre, on eût dit que son plus grand crime n’était pas de pervertir le goût par ses formules italiennes, de manquer d’élévation et de force dramatique. — De