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REVUE. — CHRONIQUE.

de France, après l’avoir suivie au château d’Hever, puis à Londres, puis à la cour, et dans tous les hasards de sa fortune, ce n’est qu’en tremblant et le cœur ému qu’on arrive avec elle au pied de l’échafaud. M. de Musset n’a pas songé à poétiser une si grande douleur ; il a laissé, sous sa plume attentive, la réalité être poétique, comme le sont, dans les esquisses de Schnetz, les contours et les lignes. Mais ce que nous devons surtout signaler, et ce dont nous devons le plus sincèrement complimenter l’auteur, c’est que, dans le nouveau sujet qu’il vient de traiter, il a fait preuve d’une chaleur de cœur et d’une sensibilité (nous demandons pardon aux roués du jour de ce terme) qu’on cherchait trop peut-être, et en vain, dans sa manière habituelle. C’est, à notre avis, une preuve de progrès plus louable encore que l’exactitude de détails ; non que nous voulions annoncer par là au public qu’il trouvera dans Anne Boleyn de ces déclamations brillantes et parfois ampoulées qui s’aiguisent en pointes et visent au trait ; mais, tout en se bornant à dire, il y a cent façons d’exprimer, et nous l’avouons, nous sommes de ces vieilles gens qui aiment à sentir les larmes venir quand on leur raconte la vie d’une belle et honnête femme.


— Tout ce qui se rattache aux dernières années de l’empire, est marqué pour nous d’un indicible cachet de douleur et d’illustration. Nos triomphes n’ont pu être égalés que par nos défaites ; mais aucun désastre ne s’est imprimé aussi profondément dans la mémoire des nations, aucun évènement ne nous apparaît entouré d’un cortége de circonstances aussi lugubres que la retraite de la grande armée. Il appartenait à Napoléon de reculer les bornes des souffrances humaines, comme il lui avait été donné d’éblouir le monde de ses succès inouis. M. le marquis de Sérang, maréchal-de-camp, fut un de ces jeunes rejetons de la noblesse française qui sentirent se réveiller en eux une ardeur chevaleresque à la vue de cet autre Alexandre ; il se distingua à Ratisbonne, à Essling, à Wagram. À vingt-cinq ans il était chef d’escadron. « Vous allez vite, lui dit l’empereur en lui donnant le grade d’officier-supérieur, mais vous allez bien !

Au mois d’avril 1812, la grande armée se mit en marche ; c’était plus qu’une armée, c’était tout un peuple, c’était l’Europe. Naples, la Lombardie, le Piémont, l’Autriche, la Prusse, la Saxe, la Bavière, le Wurtemberg, ajoutèrent leur contingent à celui de l’empire français qui s’étendait alors jusqu’au Rhin et sur les Alpes. Des ouvriers de tous les métiers, organisés militairement, suivaient l’expédition. Le marquis de Sérang, attaché à l’état-major, faisait partie du corps de Ney, chargé de la tâche périlleuse de protéger les derrières de l’armée. Blessé d’une balle