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les délices des capitales civilisées. Ils veulent mourir chez ce peuple lointain ; ils ne regrettent plus les raffinemens des grandes villes et des sociétés vieillies. Nous avons demandé à quelques-uns d’entre eux pourquoi ils préféraient à leur pays ce pays inculte. Ils n’ont pu nous répondre que par un proverbe national des Valaques :

Denbovitza appa doultze tzine bea nou se maï doutze[1].

« Denbovitza (rivière qui traverse Bucharest) roule des eaux douces ; quiconque les boit ne peut plus s’en aller. »

C’est surtout en effet l’aristocratie valaque qui est hospitalière, qui se fait la volontaire esclave, l’admiratrice passionnée de tout homme qui semble porter l’empreinte d’une sociabilité avancée. C’est à titre d’Allemands, de Français surtout, que les étrangers sont comblés de prévenances. En Valachie, tout le monde apprend la langue française : elle y sera bientôt d’un usage presque universel. Les bibliothèques du pays ne renferment que des livres français. Depuis plus de vingt ans, quinze à vingt jeunes Valaques viennent tour à tour à Paris se former aux fortes et fécondes études. Ces jeunes gens traversent la savante Allemagne, et accourent à Paris, dont la vie est plus dispendieuse, mais qui exerce sur eux une séduction bien plus puissante.

La souplesse de l’intelligence, la flexibilité, et pour ainsi dire la ductilité de l’esprit, distinguent particulièrement la race valaque. Elle reçoit toutes les impressions. Lorsque les troupes régulières (modestement nommées milices) ont été organisées récemment sous les auspices du gouvernement provisoire russe, cette docilité intelligente des nouveaux conscrits, cette aptitude à tout apprendre, semblèrent merveilleuses aux officiers moscovites. N’était-ce pas merveille, en effet, de voir un peuple, étranger depuis long-temps aux habitudes guerrières, adopter si aisément une discipline nouvelle, dont rien ne lui avait donné l’idée ? Par un singulier phénomène, l’élève sauvage civilisa le maître qui se prétendait policé. La plupart des officiers instructeurs russes sont restés attachés au service valaque ; d’autres, adoucis par l’exemple de

  1. Si l’on analyse ce proverbe, on y trouvera le témoignage évident de l’affinité qui lie la langue valaque aux idiomes du midi de l’Europe : Appa, c’est aqua ; doultze, dulcis ; tzine, qui ; bea, bibit ; nou, non ; se, se ; maï, mai (italien) ; doutze, deducit. Toutes les racines de ces mots sont romaines.