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vait de ses premières erreurs, de ses premiers vices par le terrible baptême du malheur. Cette même religion, dont les discussions mystiques avaient provoqué sa chute, reprenait son empire naturel et sa vraie doctrine ; elle lui apprenait l’amour et la foi ; elle retrempait et fortifiait une masse subjuguée, mais non anéantie ; elle la mettait en relation intime avec le reste de l’Europe, pleine de mépris pour les oppresseurs musulmans ; tandis que l’élément musulman s’éteignait, s’affaiblissait, se mourait d’indolence et d’inaction. Il perdait tout ce que la chrétienté gagnait en civilisation et en puissance. Le colosse turc n’imposait que par la conquête ; sa tête heurte enfin les remparts de Vienne, il tombe mort.

La Russie, puissance voisine, animée du désir des conquêtes comme toutes les puissances qui en ont la force et l’espoir, comprit cet état de choses, et employa deux espèces de moyens pour arriver à son but : d’abord l’attaque ouverte, qui devait tourner presque toujours à l’avantage des troupes disciplinées à l’européenne ; puis le soulèvement des populations souffrantes, qui, formant le sol de cet édifice chimérique nommé Porte Ottomane, sont groupées sympathiquement par la communauté de religion, seul ancre de salut pour elles, et leur plus chère propriété. La Russie exerçait nécessairement une puissance très haute par cette protection constante, par cette défense tutélaire qu’elle offrait aux opprimés : elle devait réussir. Tôt ou tard, quand même aucune puissance européenne n’eût accepté ce rôle, on aurait vu les peuples chrétiens asservis se soulever par un mouvement spontané, irrésistible, et rester libres maîtres du sol dont ils sont les légitimes propriétaires.

Le christianisme, la civilisation, éternels conquérans, peuvent-ils s’arrêter devant la puissance mahométane ? Voilà la vraie question qui résume toutes les autres. En vain raisonnera-t-on sur la vitalité future et la résurrection possible du cadavre musulman ; s’il n’est pas encore enseveli, c’est que l’on s’en dispute la succession. Espérances, protocoles, traités d’assurances, n’aboutiront pas à restaurer l’empire turc et à relever la puissance des sultans. Utopie fatale, chimère qui, depuis cinquante ans, a fait tomber dans tant de bévues les cabinets les mieux avisés ! Ou laissez la Russie continuer sa mission civilisa-