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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

lui d’Athènes sous cette invocation : au Dieu inconnu. Désormais voilà le dieu nouveau manifesté, révélé par M. Janin, intronisé en forme sur les autels désertés de nos dieux anciens. Cette petite phrase si leste et si échappée est son évangile ; mais c’est un évangile de faux prophète et auquel il ne faut pas se fier. Le succès dont parle M. Janin est une divinité aveugle qui vous élève par caprice et vous précipite de même, qui vous exalte également dans vos défauts et dans vos qualités, c’est-à-dire qui méconnaît également les uns et les autres, et finit toujours en résumé par trahir ceux qui lui ont sacrifié..

Aussi, en admettant avec M. Janin que le hasard, le bonheur, la vogue, tout ce qui constitue ce qu’il appelle le succès, fait d’habitude plus, en moins de temps, pour la fortune d’un écrivain que des titres réels acquis par de suffisantes préparations, je pense qu’il y a, par compensation, du côté de ceux qui choisissent cette dernière voie, sûreté, dignité, liberté. Il y a sûreté à ne pas se reposer sur le hasard d’hier du hasard d’aujourd’hui, sur le succès d’hier du succès d’aujourd’hui. Il y a dignité à ne rien laisser à la faveur et au caprice du public de ce qu’on peut leur enlever. Il y a liberté à ne pas enchaîner son avenir à son passé, son inspiration à des routines qui font fortune, à des rubriques de métier ; sa spontanéité à des goûts particuliers dont on s’est fait le complaisant, et dont on épie, sous peine de mort, toutes les exigences.

Mais lorsqu’on s’est laissé engager dans cette voie, c’est déjà un bon signe que de pouvoir reconnaître que l’on s’est trompé. Toutefois, le plus difficile reste encore à faire, c’est de rompre avec ses engagemens, avec ses habitudes d’esprit, avec les douceurs d’une position acquise ; c’est d’imposer silence à ces acclamations qui ont fait notre orgueil, de chasser cette clientelle accoutumée qui nous subjugue, mais empêche de venir à nous les suffrages plus délicats et plus réservés. Ce n’est que purifié de ce contact qu’on peut être admis à la libre pratique parmi les gens dont le talent est pris au sérieux.

Il y a long-temps déjà que M. Janin paraît vouloir entrer en quarantaine. M. Janin, supérieur à ses succès et à ses ouvrages, à tel point que souvent il ne peut s’empêcher de se railler agréablement de son public et de lui-même ; M. Janin, qui a fait des succès à tant d’autres avec les miettes des siens ; M. Janin, qui occupe de