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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

le succès l’avait pris, enrôlé, exploité, il a dû continuer son rôle de page, de Chérubin, comme il dit encore lui-même, et conserver la livrée et les couleurs du maître qu’il s’était donné.

Il ne faut pas s’y tromper cependant. Cette servitude que M. Janin a bien voulu s’imposer n’est pas une abdication complète de sa personnalité. Les goûts, les inclinations d’esprit qu’il flatte dans son public, sont des goûts et des inclinations qu’il lui a donnés. Il se l’est assimilé avant de se laisser absorber en lui. Son premier essor a été spontané, original, et a ouvert un courant par lequel toute la littérature et toute la critique moyennes ont été saisies et entraînées à sa suite. Une fois à la tête de ce mouvement, son tort a été de ne plus savoir le continuer en le dirigeant, et de s’abandonner indolemment à l’impulsion qui lui venait de l’arrière, et qu’il avait lui-même originairement imprimée. Ainsi poussé, il marche toujours, mais toujours dans le même cercle. Il se meut sur place. Cela a tué son progrès et son originalité actuelle, mais non son originalité primitive.

Au lieu de se renouveler et de se développer continuellement par une incessante élaboration intérieure, il s’est noué dans sa tradition. Au lieu de laisser bouillonner librement jusqu’à la fin, pour des œuvres successives et diverses, la cire si transparente et si ductile de sa pensée, il l’a figée dans une forme déterminée et unique. Mais cette forme, mais cette tradition, lui appartiennent bien en propre. On ne voit pas en effet à qui M. Janin fait suite, ni quel modèle il pourrait copier.

M. Janin occupe dans la littérature une place qui n’est qu’à lui, qui n’a jamais pu être à d’autres que lui. C’est une existence littéraire nouvelle adaptée à un besoin tout nouveau. Quinze ans de paix, après une longue et dévorante agitation, avaient forcé les esprits à se replier sur eux-mêmes, faute de trouver à l’extérieur un aliment à leur activité. Un surcroît d’aisance, résultat de la paix, et d’instruction, résultat de l’aisance, était venu en aide à cette évolution intellectuelle, et en avait étendu les influences sur une plus grande surface. La somme de nos connaissances ne s’était pas accrue ; mais le nombre des parties prenantes s’était augmenté, et les besoins de l’esprit, s’ils s’étaient fait sentir à un plus grand nombre, avaient un peu perdu chez ces nouveaux venus de leur délicatesse irritable et raffinée. Nous n’avions plus cette heureuse