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sensualité d’esprit qui faisait que nos pères, réunis autour du banquet littéraire auquel ils conviaient toute l’Europe intelligente, s’y perdaient et s’y oubliaient dans une ineffable quiétude, délicieusement chatouillée de jouissances de choix, de voluptés fines, exquises, recherchées, que rehaussaient encore un petit grain de vanité nationale et le sentiment fort innocent d’une supériorité qui n’avait rien d’oppressif. Pour eux, un livre était un aliment substantiel et délicatement apprêté, qui voulait être dégusté, apprécié, savouré longuement. Pour nous, gourmets parvenus et pressés d’affaires, il nous fallait un mets de facile digestion, d’un haut goût plutôt que d’un goût fin, plutôt fait pour exciter notre sensualité et lui donner le change, que pour la satisfaire sans l’éteindre. Dans son bon temps, la littérature française avait accepté un législateur grec. Vêtue à l’antique, elle s’était retranchée sur les cimes de l’Hélicon et du Parnasse, où elle habitait un temple attique d’un goût parfait sans doute, mais inaccessible et fermé à la foule. Elle s’inspirait du silence religieux de ces ombrages privilégiés, et s’abreuvait aux sources poétiques du Permesse et de l’Hippocrène. Mais depuis elle avait été réduite au frac bourgeois ; son temple avait été violé, ses mystères divulgués, l’initiation conférée à qui la voulait. Le Permesse et l’Hippocrène, minces filets d’eau, souvent à sec, suffisans pour un collége d’initiés seulement, ne pouvaient plus satisfaire aux exigences nouvelles. Il fallait une littérature à l’usage de tout ce monde de beaux esprits et de grands seigneurs de la veille qui faisaient foule de tous côtés, une littérature coulant toujours à pleins bords, pour que l’on y pût puiser sans effort et sans fatigue. Beaucoup de surface et force jets pour faire coup d’œil ; peu de fond, pour ne pas effrayer ou submerger ces courages novices, voilà ce que notre temps demandait. Eh bien ! M. Janin est l’homme qui nous a donné à manger selon notre faim, à boire selon notre soif. M. Janin a été la table constamment servie et couverte à toute heure pour tout le monde. M. Janin, avec sa verve toujours alerte et jaillissante, avec son intarissable flux de style et d’images, a été la fontaine inépuisable où trouvaient à s’apaiser jour et nuit toutes les ardeurs littéraires de la ville.

Assurément, ce succès est original et légitime. Il eut surtout un grand retentissement et d’immenses résultats dans la presse pé-