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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

puisse suivre les yeux fermés quand on a son point de départ et sa direction. M. Janin n’a ni point de départ ni direction. Il ne marche que par lignes brisées, sans s’inquiéter d’où il part, sans regarder où il va. Son inspiration, c’est l’indépendance, la spontanéité, le caprice. Sa force tient à ce qu’il est tout à la pensée qui vient de le frapper et qu’il se hâte d’exprimer, à ce qu’il est convaincu, pour cinq minutes au moins ; son charme tient à ce que, prenant ses convictions pour ce qu’elles sont, il n’en fait pas une chose trop sérieuse ; à ce qu’il fait bon marché de lui-même.

Si remarquable que soit sa vie par les variations et le décousu qui la caractérisent, M. Janin n’est cependant pas un homme inconséquent, car il n’a pas de principes ; ou qui fasse violence à sa conscience, car il vit si vite et avec tant d’entrain, qu’il arrive toujours avant sa conscience, c’est-à-dire avant la réflexion, et conserve constamment une étape ou deux d’avance sur elle. M. Janin n’a pas son lendemain écrit dans la veille. C’est une pensée, une vie d’à-propos qui s’improvise tous les jours, à tous les instans. Il possède au plus haut degré le sentiment du détail ; il a fort peu celui de l’ensemble. Voilà pourquoi, tout en sachant faire une très belle page, il ne sait pas faire un livre ; voilà pourquoi il a réussi avec une parodie, et ne pouvait réussir aussi bien par un autre moyen.

Ce qu’il faut dans un livre dont le commencement, le milieu et la fin prétendent à former un tout régulier, c’est que chaque chose ait sa raison et soit à sa place ; c’est que les parties soient liées et combinées entre elles, de manière à faire ressortir l’harmonie de l’ensemble, et viennent converger, suivant des courbes différentes, mais nettes, pures et bien proportionnées, vers le but que l’auteur s’est proposé. La parodie, au contraire, est affranchie de ce soin, de ce culte de soi-même. Ce n’est pas d’harmonie, de pureté de lignes, d’ordre ni de continuité, qu’il s’agit dans une caricature. La parodie n’existe pas pour elle-même, ni par elle-même : elle est parasite. Elle n’a pas pour objet le relief de sa propre beauté, mais le relief du ridicule étranger qu’elle veut mettre en vue. Sa beauté à elle, c’est le laid, c’est la difformité qu’elle a empruntée (elle la prête quelquefois) à une création plus noble et plus régulière. Elle vit de caprices et de contrastes grotesques, d’accouplemens contre nature, de déviations et de monstruosités de tout genre. C’est une excentricité qui ne relève d’aucune des