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conte de la Revue de Paris, intitulé le Piédestal. Ce n’est qu’après coup que M. Janin trouve son roman dans son article. Si j’osais puiser dans le vocabulaire de l’histoire naturelle pour y prendre une expression qui, bien qu’étrange en ce lieu, rend ma pensée mieux que toute autre, je dirais que M. Janin, considéré comme faiseur de romans, de livres, n’est pas vivipare, mais bien ovipare. Je ne vois que l’œuf de la Confession auquel je ne puisse pas remonter ; mais je parierais qu’il existe dans le Figaro ou en quelque autre lieu.

C’est encore un singulier livre que le Chemin de Traverse. Est-ce un ouvrage sérieux, comme l’auteur le prétend ? Est-ce une parodie de mœurs, comme l’Âne mort était une parodie littéraire ? C’est ce qu’il n’est pas facile de découvrir. Toujours est-il que, de même que l’Âne mort était un assemblage d’exagérations et de monstruosités dans l’ordre dramatique, de même le Chemin de Traverse est un tissu d’exagérations et de monstruosités dans l’ordre moral : non pas qu’il n’y ait des hommes aussi bons ou aussi méchans que les héros du Chemin de Traverse, mais c’est que personne n’a cette manière d’être bon ou d’être méchant. La nature n’existe pas pour M. Janin. Ses personnages ne sont pas des hommes, ses paysages ne sont pas des paysages. Chez lui, l’eau ne coule pas, elle va en poste ; elle a un fouet qu’elle fait claquer, une barbe dans laquelle elle rit ; et ainsi du reste. L’abus du style figuré défigure toute chose en lui ôtant ses qualités et sa physionomie propres pour lui en donner d’autres, qui, le plus souvent, lui enlèvent tous ses attributs, tous ses caractères originaux et distinctifs. Dans ce livre, tout ressemble à l’homme, excepté l’homme. Tout a des bras, des mains, une poitrine, une voix, des passions, des vices, comme nous. Il n’y a que notre image où nous ne puissions pas nous reconnaître.

Deux choses sont nécessaires avant tout pour la construction d’un roman : des caractères, une action. L’action est le fil non interrompu où se rattachent les intérêts mis en jeu, et qui les conduit depuis le point de départ jusqu’à un résultat net et défini. Les caractères sont les pivots vivans autour desquels se noue, se soutient et se déroule l’action, et qui lui impriment toutes ses ondulations, tous ses reviremens, toutes ses secousses. Il y a entre l’action et les caractères une dépendance réciproque absolue. L’action