Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
232
REVUE DES DEUX MONDES.

calme ; une voix isolée laisse encore par intervalles tomber quelques sarcasmes, et les rires remplacent bientôt les éclats de la colère.

Chaque jour de semblables scènes se renouvellent. Parmi les singularités qu’offrent les habitudes et les mœurs de ce peuple, il ne faut pas oublier leurs préjugés de caste. Les vingt-cinq Indiens qui me servaient appartenaient à trois ou quatre castes distinctes ; et, malgré le besoin naturel de s’unir, de s’entr’aider mutuellement pour diminuer les privations générales, ils n’auraient jamais consenti à manger tous ensemble. À l’heure des repas, ils se divisaient par groupes, et chaque caste formait sa gamelle ; leurs cuisines et leurs feux, répartis par escouade, ressemblaient à un petit camp. J’ai eu un Daubachi de haute caste, qui ne pouvait, en route, manger que chez les brahmes, et était obligé de faire quelquefois deux lieues de traverse pour aller chercher son dîner à la pagode la plus voisine. Un autre, musulman, et neveu d’un capitaine de cipayes, ne refusait point de faire ma cuisine ; mais il ne pouvait toucher à ce qu’il avait préparé lui-même : il avait son propre domestique à lui, pour le nourrir en chemin. Ce dernier tomba malade, resta en arrière, et mourut, je crois, sur le bord d’un fossé ; mon musulman, privé de son marmiton, se soumit à des jeûnes fréquens, toutes les fois que, dans les lieux que nous traversions, il ne pouvait prendre ses repas suivant les rites et les usages de sa caste. — Est-ce un préjugé religieux qui leur imposait d’aussi sévères obligations ? Quoique incapable d’approfondir théologiquement cette question, je pense que la fierté d’origine y entrait pour beaucoup. Lorsque je les interrogeais, ils me répondaient qu’en manquant à leurs devoirs journaliers, ils seraient chassés, par leurs frères, de la famille à laquelle ils appartenaient, et rejetés parmi les pariahs ; qu’ils ne seraient plus bons qu’à dépecer, dans les lieux immondes, les animaux morts et les carcasses que se disputent les corbeaux : aussi le contact d’un pariah est une telle souillure, que des ablutions immédiates et nombreuses peuvent seules l’effacer. C’est à ces vieux principes de leur éducation que les nombreuses castes indiennes doivent leur stabilité, qui repose aussi sur l’hérédité des professions et le mariage entre les individus de même caste.

Avant de gravir le plateau du Mysore, je longeai quelque temps le pied des Ghates. Désirant observer une curiosité minéralogique dont j’avais entendu parler dans le pays, je m’arrêtai dans un petit hameau, nommé Trivocaret, près duquel on découvre, au fond d’un ravin circulaire, plusieurs troncs d’arbre de six à huit pieds de circonférence, entièrement pétrifiés. Ces arbres, ainsi qu’une foule d’autres débris de diverses dimensions, donnent un beau marbre jaune veiné, et sont à demi ensevelis dans le sable. Les Anglais ont déjà fait, sur les lieux, des fouilles