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LE MYSORE.

l’humiliation qu’il éprouve aigrit son caractère ; il est alors terrible, brise et foule aux pieds ce qu’il peut rencontrer, et cherche partout à assouvir sa rage. Dans ce cas, il est extrêmement dangereux ; car sa marche, si lourde en apparence, est rapide, même en comparaison de la vitesse d’un cheval. Quand je traversai un chétif hameau nommé Ampapoor, j’y vis un Indien encore fort malade de la terreur qu’il avait éprouvée cinq jours auparavant : surpris près de son habitation par un éléphant, il n’avait eu que le temps de grimper sur un arbre élevé, d’où il avait pu contempler les ruines de sa chaumière bouleversée en un clin d’œil.

Le tigre, beaucoup plus commun que l’éléphant, est heureusement bien moins redoutable. Souvent, dans le cours de mes voyages, lorsque je voulais chasser et que je demandais à un Indien de m’accompagner, il s’y refusait dans la crainte de rencontrer quelque tigre caché ou engourdi sous un buisson ; car cet animal n’attaque point son ennemi de front, sans y être excité par quelques blessures ou sans croire sa proie facile : son odorat sait parfaitement distinguer l’Indien de l’Européen, et il s’attaque de préférence au premier.

Il m’arriva, dans la partie la plus haute et la plus épaisse des bois que je traversais, de faire la rencontre d’un beau tigre. C’était dans l’après-midi, et, fatigué du balancement continuel de mon palanquin, je m’étais assoupi, lorsqu’une secousse violente me réveilla en sursaut. Je mis la tête à la portière pour en savoir la cause ; mon palanquin était déposé à terre, et je vis tous mes Indiens blottis derrière, qui me montraient le tigre arrêté devant nous. J’avais déjà mis par prudence des balles dans les canons de mon fusil, et j’attendais de pied ferme, sachant combien il est dangereux de tirer de trop loin et de blesser seulement cet animal, qui entre alors en fureur ; mais le tigre se contenta de nous regarder, de nous compter quelques minutes, et, nous ayant reconnus probablement en force suffisante, il continua son chemin.

J’apercevais à chaque pas des daims, des paons, des coqs sauvages, des bécassines, etc. ; mais j’eus rarement l’occasion de les tirer. Il aurait fallu se placer à l’affût. Je remarquai que les Indiens les approchaient facilement, tandis que mon costume européen les faisait fuir et se cacher immédiatement dans les herbes. Les singes, communs dans toute l’Inde, étaient encore une de mes rencontres de voyage. Ordinairement ils étaient très sauvages et s’enfuyaient en sautant d’un arbre à l’autre avec une agilité telle, qu’elle peut être comparée à celle des oiseaux. Je me rappelle cependant qu’à une de mes haltes sur la côte du Canara, une bande plus familière de ces animaux resta suspendue au-dessus de ma tête, dans les arbres que j’avais choisis pour prendre mon repas et m’abriter contre les ardeurs du soleil. Au bout de quelques momens, impa-