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lorsqu’ils le recherchaient et pour ainsi dire le gâtaient. Sinon, il se retirait en lui-même, avec un dédain superbe, et voyait passer le monde devant lui en observateur et presque en indifférent. À chaque époque, il fallait qu’on acceptât sa pensée ou sa démission. Appartenant à une génération qui avait plus vécu jusque-là dans les abstractions que dans les réalités, il croyait que tout ce qui se pensait se pouvait. Il s’exagérait, comme la plupart de ses contemporains, la puissance de l’esprit ; il tenait plus compte des droits que des intérêts, des idées que des habitudes ; il avait quelque chose de trop géométrique dans ses déductions, et il ne se souvenait pas assez, en alignant les hommes sous son équerre politique, qu’ils sont les pierres animées d’un édifice mouvant. Cependant il a laissé la forte empreinte de son intelligence dans les évènemens. Il a été l’ami ou le maître des hommes les plus historiques de notre temps. Beaucoup de ses pensées sont devenues des institutions. Il a vu, avec un coup d’œil sûr, arriver une révolution qui devait se faire par la parole, se terminer par l’épée ; et il a donné la main, en 1789, à Mirabeau, pour la commencer, au 18 brumaire à Napoléon pour la finir : associant ainsi le plus grand penseur de cette révolution à son plus éclatant orateur et à son plus puissant capitaine.


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