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LAZARE.

Il vaut mieux dans ce monde, épouvantable geôle,
Achever jusqu’au bout notre pénible rôle.
Il vaut mieux, aux clartés des théâtres en feux,
Étourdir chaque soir nos fronts silencieux,
Et que gin et whisky de leur onde enivrante,
Rallumant dans nos corps une vie expirante,
Nous fassent, s’il se peut, perdre le sentiment
D’un métier que l’enfer seul égale en tourment.

Enfin, pour nous enfin, si la vie est une ombre
Et la terre un bourbier, — la mort n’est pas si sombre.
Elle ne nous fait pas languir dans nos réduits,
Et nous jette bientôt, pêle-mêle et sans bruits,
Dans la fosse commune, immense sépulture.
Mort ! oh ! quel que soit l’aspect de ta figure,
L’effet de tes yeux creux sur les pâles humains,
Quand sur nos corps usés tu poseras les mains,
Ton étreinte sera plus douce qu’on ne pense,
Car, au même moment où fuira l’existence,
Comme un sanglant troupeau de vautours destructeurs,
Nous verrons s’envoler les voraces douleurs
Et les mille fléaux dont les griffes impures
Faisaient tomber nos chairs en sales pourritures.

Allons, mes sœurs, marchons la nuit comme le jour ;
À toute heure, à tout prix, il faut faire l’amour,
Il le faut, ici-bas le destin nous a faites
Pour garder le ménage et les femmes honnêtes.