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POÈTES ÉPIQUES.

Ailleurs, le géant Christophe emportant sur ses épaules le Christ nouveau-né, et lui faisant franchir le grand fleuve, était un symbole des peuples barbares qui recueillaient le christianisme au berceau, et l’aidaient à franchir la limite des vieux empires. Les idées les plus hautes comme les sentimens les plus simples, la nature, l’histoire, le monde, se résumaient ainsi dans des emblèmes divins. Sur les ruines de la mythologie païenne ressuscitait une mythologie spiritualiste et sainte. L’église enfantine, comme la vierge de Raphaël, s’asseyait parmi les fleurs des champs, et rêvait. Le Christ au berceau jouait auprès d’elle avec les insignes du Calvaire. Poésie du dogme naissant et de la foi inviolée ! fondement de tout ce qui s’appellera plus tard imagination, mélodie, sculpture, peinture et art catholique !

Au milieu de cela, quand on voit les peuples germaniques passer le Rhin, on doit croire que leurs traditions vont former les élémens dominans de l’art au moyen-âge. Mais il n’en est rien. Leurs souvenirs s’évanouissent comme leurs langues, et la chaîne commence à se rompre sitôt qu’ils quittent le sol natal. Les bardes des Celtes ont laissé avec leurs noms quelque trace dans l’imagination de la France au moyen-âge. Les traditions héroïques des Francs, des Bourguignons, des Goths, n’en ont laissé aucune. Tout ce que ces peuples ont gardé de leur passé a été l’habitude des chants de guerre. Ainsi, l’hymne, la légende, le chant guerrier, le lai des bardes, voilà les premiers rudimens de l’art en France. Chacune de ces formes se développant séparément, il y avait une poésie et point de poèmes, comme il y avait des débris de peuples et point de peuple, des hommes et point de société.

Si de cette première époque, on jette les yeux sur le xiie siècle, un grand miracle est accompli ; la société est née. Le germe caché dans le sillon barbare a lentement percé le sol. Des siècles serfs, et qui n’ont point de nom, courbés sur la glèbe, ont travaillé sans bruit ; ils n’ont point vu leur œuvre ; et maintenant, comme une plante qui naîtrait d’elle-même, une architecture nouvelle surgit de terre. En même temps, des compositions épiques de trente, de quarante, de soixante mille vers, éclatent presque à la fois, dans des dialectes naissans. Qui a ainsi enchanté la terre de la barbarie ? Qui a délié la langue des siècles muets ? Le catholicisme et la féodalité. Pendant que la société se formait de l’alliance de l’église