Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
REVUE DES DEUX MONDES.

rattachent à l’établissement de la féodalité. Ils en sont les champions et les héros.

Cette première différence en entraîne de plus grandes. Le personnage d’Arthus, plus imaginaire, se pliait plus facilement aux fantaisies des légendaires. De là son palais devient promptement un des centres de la poésie ecclésiastique. Son empire est celui de l’ascétisme et de la macération. Arthus est le roi de la légende ; Charlemagne reste le roi du poème héroïque. Comme il y avait dans la société deux principes fortement constitués, l’église et la féodalité, il y eut aussi deux mythologies, deux héros, deux systèmes de poésie épique, lesquels jusqu’au bout se distinguèrent l’un de l’autre par deux systèmes de rhythme et de versification.

Dans le cycle d’Arthus, la poésie de l’église s’est rencontrée quelque part avec un reste des croyances celtiques ; le prêtre s’est uni avec le barde pour chanter ensemble le lai des traditions bretonnes. La légende du Saint-Graal[1], c’est-à-dire du vase mystique qui contient le sang du Christ, a grandi là peu à peu jusqu’aux formes de l’épopée ; car tout ce système de poésie est subordonné à l’idée du calice de la passion, de la même manière que le moyen-âge tout entier s’agenouille devant les reliques du Calvaire. Voilà le but des courses, des épreuves, des combats des chevaliers ; c’est d’aller en quête de ce talisman de douleur. Le mont, la plaine, la forêt, le château abandonné, le sentier, tout vous ramène au sang encore mal étanché du Golgotha. Dans maintes directions passent des cavaliers taciturnes. De loin à loin, l’un d’eux demande à l’ermite le chemin de l’infini ; l’ermite montre un sentier escarpé sur un mont sauvage. Le cavalier reprend, sans mot dire, son mystérieux voyage et disparaît. Sous cette forme, l’épopée ressemble à un prêtre templier ; elle cache le cœur du moine sous la cuirasse et le haubert.

Il y avait une autre forme sous laquelle le Graal, symbole de perfection, apparaissait aux chevaliers. C’était sous la forme d’une pierre précieuse. Les rubis, les diamans, les nobles métaux, gardés par des griffons, étaient alors doués de vertus divines[2],

  1. Pour suivre l’histoire de cette légende, voyez l’Évangile apocryphe de Nicodème cap. xiv et xv. — Acta sanctorum, iii. — Joseph. Arimath. Martii, tom. ii.
  2. Absque dubio cœlesti virtuti deputandum. Albertus magnus.