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RAYNOUARD.

tente pas d’observer, de décrire ; son rôle n’est pas seulement d’un cicérone banal, bien qu’on en dise, car la critique doit, avant tout, sentir et comprendre, et l’intelligence, poussée à ce point, est presque de l’inspiration. Que la critique se fourvoie souvent, nous ne le nions pas, quoique cela lui arrive moins fréquemment qu’à l’inspiration proprement dite ; mais la critique n’implique nullement la sécheresse chez l’écrivain et l’inutilité pour l’art. Malgré les diatribes de Geoffroy, M. Raynouard en sentait la nécessité mieux que personne ; et, après un des plus éclatans succès qu’il y ait jamais eu au théâtre, il n’hésita pas à refondre entièrement les Templiers, qui furent applaudis, sous cette nouvelle forme, en 1819 et en 1823. Il semble pourtant qu’une œuvre dramatique doive naître avec toutes ses combinaisons et toutes ses formes, dans une primitive et indestructible unité ; modifier l’action, toucher à ce merveilleux édifice qui ne paraît vivre que par l’ensemble, n’est-ce pas risquer de l’ébranler jusqu’en ses bases ? Nous l’eussions cru, si M. Raynouard n’eût refait entièrement et avec bonheur sa tragédie, et ne lui eût donné plus d’énergie encore par cette dernière forme, à laquelle il est convenable de se tenir. Nous insistons d’autant plus volontiers sur ce point, que tant de condescendance pour la critique, tant de défiance envers l’approbation générale, et un retour si inquiet et si laborieux après le succès, doivent paraître plus étranges à une époque où l’on a l’habitude de se contenter de sa propre admiration, pour se dispenser de retoucher à l’œuvre faite.

L’appui de la critique judicieuse et éclairée ne manqua point non plus à M. Raynouard pour l’encourager dans sa conscience de poète. Le Publiciste, contradicteur habituel de Geoffroy, soutint et discuta longuement la pièce. De nombreux articles, dans lesquels intervinrent des initiales diverses, comme il était possible en ces temps d’heureux loisirs littéraires, témoignent assez de l’importance extrême qu’on attachait à l’œuvre ; ce fut tout un tournoi où les chevaliers du poète triomphèrent.

Joseph Chénier avoue que c’était une heureuse idée que celle de Marigny, de ce jeune homme ardent, associé secrètement aux templiers, dont son père a juré la ruine, osant prendre leur défense au fort du péril, révélant son secret quand il ne peut plus que partager leur infortune, se dévouant pour eux, mourant avec eux, et commençant, par cet héroïque sacrifice, le châtiment de son père coupable. Mais ce que nous admirons le plus, pour notre part, dans les Templiers, ce n’est pas cette vigueur de style inconnue depuis Corneille, cette fermeté sans raideur, cette énergique simplicité d’action, qui ont attiré les applaudissemens ; c’est plutôt encore la magnanimité sublime, le caractère grandiose et résigné du grand-maître. Geoffroy dit que c’est un homme pétri d’héroïsme depuis