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d’Austerlitz. Si on peut, à notre point de vue littéraire, contester raisonnablement la valeur absolue de cette œuvre, il est au moins impossible de nier sa supériorité relative, au milieu de cette poésie faible, décolorée et sans souffle, qui dépérissait à l’ombre des glorieux trophées de Napoléon.

Le succès de la tragédie fut si grand, que deux ans après, en 1807, les portes de l’Académie française s’ouvrirent devant M. Raynouard. Les candidats de nos jours, si empressés aux visites, ignorent peut-être que M. Raynouard ne céda pas à cette règle d’étiquette, et que son frère s’acquitta pour lui de cette formalité d’usage, qui occasionna des méprises assez singulières chez Legouvé et chez Suard. Le lendemain de son élection, M. Raynouard, qui succédait à Lebrun, fit, pour la première fois de sa vie peut-être, des visites de remerciement aux membres de l’Académie, et il songea aussitôt à écrire son discours de réception ; car c’était un des côtés caractéristiques de son esprit de ne jamais remettre au jour d’après ce qu’il pouvait exécuter immédiatement. Il n’était donc point de ceux dont Leibnitz disait : « La temporisation est un des sept péchés capitaux des savans hommes. » Dans le courant de sa longue et laborieuse carrière, il n’a jamais manqué une fois à cette exactitude ponctuelle, à cet accomplissement instantané du devoir. — Joseph Chénier craignait que M. Raynouard ne maltraitât Lebrun, avec lequel il avait été long-temps lié.

— Eh bien ! où en est votre discours, lui demanda-t-il en le rencontrant très peu de jours après l’élection.

— Il est terminé, répondit M. Raynouard. À ce mot, Joseph Chénier ne put s’empêcher de dire : — Mais vous l’aviez donc fait d’avance ?

On a trop exagéré en général la froideur des rapports entre l’auteur des Templiers et l’auteur de Tibère. Chénier, que le premier et patriotique élan de Caton d’Utique avait séduit, se montra favorable à l’entrée de M. Raynouard à l’Académie française. Il est vrai que plus tard, tout en le traitant avec la justice convenable dans le Tableau de la littérature, il ne fut pas, dit-on, très favorable aux Templiers pour le prix décennal. Cependant Chénier, malgré son caractère ombrageux, avait une idée trop haute de son talent pour craindre qu’on l’éclipsât ; il n’eût peut-être pas aimé un rival tragique capable de trop d’essor, mais il ne regardait pas M. Raynouard comme suffisamment dangereux.

L’auteur des Templiers fut reçu à l’Académie française le 24 novembre 1807, le même jour que Picard et Laujon. Il traita dans son discours de la tragédie et de son influence sur l’esprit national. Une vive admiration pour Corneille, un éloge modéré de Lebrun, et un vif désir de voir la scène emprunter enfin des sujets aux annales de la France, firent applaudir le morceau. Bernardin de Saint-Pierre répondit, et loua M.  Ray-