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théâtral ; on doit avouer qu’il est soumis à des révolutions lentes, mais inévitables, qu’opèrent les changemens, soit des sentimens religieux ou des institutions politiques et civiles, soit des mœurs publiques et privées, et plus que toutes ces causes encore, la nécessité indispensable de réveiller le goût émoussé des spectateurs, en offrant à leur esprit des combinaisons nouvelles, et à leur cœur de nouvelles émotions. Mais il n’en faut pas moins respecter une règle fondamentale, sacrée, invariable et applicable à tous les temps et à tous les lieux, celle de la moralité de l’ouvrage[1]. » On voit par ce fragment quelle était au fond l’opinion de M. Raynouard sur les tentatives dramatiques plus récentes. À en juger même par son admiration vive pour André Chénier[2], et par ces beautés entièrement distinctes de la littérature classique proprement dite, qu’il reconnaissait chez les troubadours, et qui étaient, de la part de son savant collègue M. Daunou, le sujet d’une de ces contradictions polies et attiques qui le caractérisent[3], on pourrait croire dès l’abord que l’auteur des Templiers tendait à excuser les essais de l’école moderne. Ce que nous voulons seulement constater, c’est que M. Raynouard, tout en se tenant hors de ce mouvement, et en déplorant les exagérations scéniques de tant de jeunes talens, savait apprécier les justes et notables efforts. Voici d’ailleurs ce qu’il écrivait, il y a deux ans, sur l’état du théâtre. On verra, par ce passage, l’idée sévère qu’il se formait de l’art dramatique : « J’aurais insisté bien davantage, dit-il après quelques développemens, si j’avais cru que des exemples et des raisonnemens fussent capables de détourner d’une voie fausse, et je dirai funeste, les auteurs dramatiques qui, doués d’un esprit digne de devenir utile à la société, n’ont pas dans le cœur la conscience de leur devoir, le sentiment de leur noble mission, en un mot l’ambition de la vraie gloire. J’aime à penser que n’ayant pas assez considéré les obligations de l’art auquel ils sont appelés, ils imaginent qu’il suffit à leur renommée de recueillir quelques applaudissemens bruyans et passagers, obtenus souvent aux dépens de la décence et des mœurs, sans s’inquiéter des suites de l’inconvenance d’un succès condamnable : c’est au temps, c’est au goût des spectateurs à faire justice de cette erreur grave, que la plupart d’entre eux se reprocheront un jour ; et si jamais ces dramatistes effrénés, ces révolutionnaires de théâtre, désenchantés eux-mêmes de leurs scandaleuses productions, impriment enfin à leur talent une direction vraie et généreuse, ils sentiront alors, par l’approbation des gens de bien, par l’estime des bons citoyens, par

  1. Journal des Savans, mars 1834, pag. 130.
  2. Ibid., octobre 1819. Cet article est piquant par sa date. Nous y renvoyons.
  3. Ibid., article sur les troubadours. Même date.