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RAYNOUARD.

que jour à côté de lui, et sentant sa santé s’altérer de plus en plus, mourut à Passy le 27 octobre 1836. Son convoi nous a laissé une impression triste. L’auteur des Templiers était, depuis trente ans, membre de l’Académie française, dont il pouvait passer, ainsi qu’on l’a fort bien dit, pour la loi vivante. Toujours associé à ses travaux, il avait formé pour elle la collection complète des œuvres des académiciens depuis la fondation. Eh bien ! nous le disons à regret, quatre membres seulement assistèrent à cette cérémonie dernière. Encore M. de Pongerville, directeur, et M. Villemain, secrétaire perpétuel, y étaient-ils désignés par leur charge. On assure qu’un des deux autres membres, habitant Passy, et qui sait aiguiser tout l’esprit mordant du xviiie siècle sous le couvert des convictions politiques d’une autre époque, ne put s’empêcher de dire en voyant ce nombre de quatre : « Il ne nous manque qu’un zéro pour être au complet. » Le premier corps littéraire d’Europe avait-il oublié son ancien secrétaire perpétuel au milieu des travaux d’érudition qui ont occupé exclusivement toute la dernière partie de sa vie, et voulut-il le punir sur sa tombe de cette prédilection pour l’Académie des Inscriptions, dont les membres ont assisté en grand nombre aux obsèques de leur confrère assidu ? Nous ne savons. Mais quand M. Raynouard, il y a quelques mois, devinant sa fin prochaine, insista pour faire accepter à son ami et élève, M. de Pongerville, la présidence de l’Académie française, ne pressentait-il pas cette triste indifférence ? ne voulait-il pas au moins qu’une voix aimée retentît sur sa tombe ? Nous serions presque tenté de le croire.

Jusqu’ici et à dessein, nous n’avons guère été que simple narrateur. Nous convient-il en effet, à nous qui n’avons connu M. Raynouard que dans les derniers temps, de tracer le portrait de cette nature rude au dehors, peu faite au monde, un peu rugueuse en ses contours, mais bonne et facile sous l’écorce, et cachant aux secrets replis une sensibilité d’autant plus vive, qu’elle était conservée et refoulée à l’intérieur, sans jamais percer ce qu’il y avait de sauvage et d’inculte dans l’enveloppe ?

Comme homme privé, il possédait ce dévouement inviolable en amitié, cette sincérité d’enfant, cette religion du devoir, ce langage mâle et bref, ces reparties tranchées, ce caractère tout en dehors, qu’un grand critique note chez Corneille. Vif et sans hésitation dans ses mouvemens comme dans ses actions, là il rompt subitement un mariage noué, à cause d’une crème demandée d’un ton de colère ; ici, avec une aussi prompte et aussi irrévocable résolution, il donne, sans cause apparente, sa démission de secrétaire perpétuel. Jamais il ne regretta ces dernières fonctions, et récemment encore, a dit une voix éloquente sur sa tombe, il se félicitait que son brillant héritage fût passé entre des mains faites pour en augmenter l’éclat. Philosophe pratique, rempli de fran-