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remplit des philtres des enchanteresses et des larmes des amans. Cette révolution, qui en contenait tant d’autres, commença par la France. La femme remplaça l’église, le fabliau la légende, le roman l’épopée. Assise au festin de la Table-Ronde, la France goûta la première, sur les lèvres d’Yseult et de Tristan, le breuvage des voluptés condamnées. Dès ce moment, elle commença à oublier, avec eux, la coupe trop amère du Golgotha.

ii.

Les poèmes du cycle de Charlemagne se distinguent tout d’abord des précédens. Ils portent une autre bannière ; ils sont invariablement composés de vers de dix ou de douze pieds[1]. Avec leurs longues tirades, pendant lesquelles la même rime se reproduit et se répète sans relâche, à l’imitation de la poésie arabe, ils marchent pesamment, comme des chevaliers bardés de fer. Privée encore d’articulations mobiles, la langue se brise sous ce lourd vêtement d’airain. Nouvellement émancipée et naturellement forte, précise, héroïque, inflexible, encore grossière, mais jamais recherchée, à la fois tragique et enjouée, propre par là au grand récit, c’est un moule qui a été brisé avant d’avoir été achevé. Il n’en est rien resté depuis la Renaissance, Corneille, en qui survit le génie héroïque des trouvères de Normandie, ayant donné à sa langue un rhythme et un accent tout différens.

Par leurs sujets, ces poèmes n’appartiennent pas tous à l’époque de Charlemagne. Il y en a qui remontent aux Mérovingiens et à Clovis, le plus loyaux homme de France ; il y en a, au contraire, qui se rapportent à l’époque de Charles-le-Chauve. En général, tout le temps compris depuis la création jusqu’à l’avénement de la troisième race est un espace neutre, dont les trouvères se sont emparés. Ils en disposent à leur fantaisie. Mais la société, les mœurs, les habitudes qu’ils dépeignent étant partout les mêmes, leurs compositions, souvent différentes par le temps et par le lieu, appartiennent toutes à un même système. Elles doivent porter un

  1. Dans les versions étrangères cette règle n’est plus observée. Ainsi, le Titurel, qui appartient au cycle du Graal, est composé de grands vers. Au contraire, Guillaume a été traduit dans le petit mètre.