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et des serfs, les hommages-liges, les droits d’aînesse, d’aubaine, d’épave, le système de la propriété, les obligations et redevances des fiefs, sont mis là partout en action. On ne sent plus, il est vrai, l’exaltation d’amour qui est propre au cycle d’Arthus ; mais on a devant soi le tableau de la famille féodale ; non pas l’amant et la fiancée dans la forêt enchantée de Broceliande, mais le père, l’épouse, le fils, la sœur, au grave foyer du châtelain. Par-dessus tout, la vie extérieure du moyen-âge est peinte en couleurs très vivaces, comme elle l’est sur les vitraux ou dans les vignettes des manuscrits. C’est dans ces longs récits que se retrouvent à leur place le baron dans sa tour, la guette sur les créneaux, le saint dans son monastère, les dames au clair visage cueillant les fleurs de mai, ou, du haut des balcons, attendant les nouvelles ; l’ermite au fond du bois qui lit son livre enluminé ; la demoiselle sur son palefroi pommelé ; les messagers, les pèlerins, les nains, assis à table et devisant dans la salle pavée ; le bourgeois sous la poterne, le serf sur la glèbe ; les pavillons tendus au vent, les enseignes brodées et dépliées ; les chasses au faucon, à l’émérillon ; les jugemens par le feu, par l’eau, par le duel ; les plaids, les joutes, les épées héroïques ; la Durandal, la Joyeuse, la Hauteclaire ; les chevaux piaffans et nommés par leurs noms, à l’instar d’Homère, le Bayard des fils Aymon, le Blanchard de Charlemagne, le Valentin de Roland ; tout ce qui accompagnait et suivait les disputes des seigneurs, défis, pourparlers, injures, prises d’armes, convocation du ban et de l’arrière-ban, machines de guerre, engins, assauts, pluies de flèches d’acier, famines, meurtres, tours démantelées ; c’est-à-dire le spectacle entier de cette vie bruyante, silencieuse, variée, monotone, religieuse, guerrière, où tous les extrêmes étaient rassemblés ; en sorte que ces poèmes, qui semblaient extravaguer d’abord, finissent souvent par vous ramener à une vérité de détails et de sentimens plus réelle et plus saisissante que l’histoire.

Tous les sujets que pouvait fournir le moyen-âge étaient ainsi traités par les trouvères ; mais dans ce grand nombre de thèmes principaux, il y en avait un auquel ils revenaient sans cesse ; ils ne pouvaient ni l’épuiser, ni le quitter quand ils l’avaient touché ; c’étaient les joutes et les batailles, non pas combats de galanterie, mais combats à outrance. Le génie guerroyant de la France respire principalement dans ces valeureux poètes. Avec