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REVUE. — CHRONIQUE.

contraires, on ne s’étonnerait plus que des causes en apparence frivoles bouleversent de grands empires. Ce n’est pas lui qui se prendrait jamais de bel enthousiasme pour un parti, et périrait avec lui plutôt que de l’abandonner. De l’enthousiasme, il en trouve encore au besoin : il faudrait être bien malappris pour ne pas avoir toujours de l’enthousiasme à ses ordres ; quant à la persévérance, il en est autrement. La cause que le Journal des Débats embrasse, il l’aide d’ordinaire puissamment, la développe avec éclat et chaleur, et pour peu qu’il soit en elle de réussir, il y contribue à merveille pour sa part ; mais son zèle, quel qu’il soit, ne résiste jamais aux chances de la fortune, le succès seul l’alimente ; sitôt que la cause chancelle, il s’en tire et va prudemment en chercher une autre. Le Journal des Débats est de toutes les causes ; à ce compte il devrait être éternel ; d’où vient donc qu’il décroît ? Qu’on en cherche la raison, on la trouvera peut-être. Cette belle mission de la presse qui consiste à n’embrasser jamais que les intérêts du pays, à se créer par son opinion indépendante et sympathique une publicité dont on se sert, non point à exploiter le pouvoir, mais à le maintenir sans cesse dans les limites de ses hautes fonctions, non point à le flatter à tout propos, parce qu’il est le pouvoir, mais à l’encourager dans le bien, à lui rappeler ses promesses lorsqu’il les oublie, à l’accuser à la face de tous lorsqu’il fait bon marché de la gloire de la France et de ses libertés ; disons-le hardiment, cette mission généreuse, le Journal des Débats ne l’a jamais comprise. À quelle époque s’est-il mis du côté de la nation ? Était-ce par hasard en 1814, lorsqu’il fêtait l’invasion ? Est-ce aujourd’hui qu’il s’efforce de rendre le pays solidaire du crime sans nom de quelques misérables pris de démence, et se sert de ces coups déplorables, ou plutôt en abuse pour soutenir des lois réactionnaires pour le moins inutiles et frappées d’impuissance avant leur adoption ? Nous nous trompons, une fois le Journal des Débats s’est levé pour la cause nationale, une fois en 1829 il a combattu dans les rangs de cette vieille opposition pour laquelle il professe aujourd’hui un dédain si superbe ; mais c’était là tout simplement une infraction à son principe. Au reste, M. Guizot paraît aussi convaincu que nous de tout ce que nous venons de dire, et c’est avec une secrète joie qu’il a vu s’élever une feuille rivale qui acquiert chaque jour de nouveaux titres à son appui. La prévoyance de M. Guizot se défierait-elle, pour l’avenir, d’un organe qui en a servi tant d’autres, et qui déjà l’a abandonné une fois ?