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ILLUSTRATIONS SCIENTIFIQUES.
ma place à François, qui nous baissa des branches où nous cueillions nous-mêmes, ce qui amusa beaucoup Julie. On apporta le goûter ; elle s’assit sur une planche à terre avec ma sœur et Élise, et je me mis sur l’herbe à côté d’elle. Je mangeai des cerises qui avaient été sur ses genoux. Nous fûmes tous les quatre au grand jardin, où elle accepta un lis de ma main. Nous allâmes ensuite voir le ruisseau ; je lui donnai la main pour sauter le petit mur, et les deux mains pour le remonter. Je m’étais assis à côté d’elle au bord du ruisseau, loin d’Élise et de ma sœur ; nous les accompagnâmes le soir jusqu’au moulin à vent, où je m’assis encore à côté d’elle pour observer, nous quatre, le coucher du soleil qui dorait ses habits d’une lumière charmante. Elle emporta un second lis que je lui donnai, en passant, pour s’en aller, dans le grand jardin. »


Pourtant il fallait penser à l’avenir. Le jeune Ampère était sans fortune, et le mariage allait lui imposer des charges. On décida qu’il irait à Lyon ; on agita même un moment s’il n’entrerait pas dans le commerce ; mais la science l’emporta. Il donna des leçons particulières de mathématiques. Logé grande rue Mercière, chez MM. Peirisse, libraires, cousins de sa fiancée, son temps se partageait entre ses études et ses courses à Saint-Germain, où il s’échappait fréquemment. Cependant, par le fait de ses nouvelles occupations, le cours naturel des idées mathématiques reprenait le dessus dans son esprit ; il y joignait les études physiques. La Chimie de Lavoisier, parue depuis quelques années, mais de doctrine si récente, saisissait vivement tous les jeunes esprits savans ; et pendant que Davy, comme son frère nous le raconte, la lisait en Angleterre avec grande émulation et ardent désir d’y ajouter, M. Ampère la lisait à Lyon dans un esprit semblable. Les après-dîners, de quatre à six heures, lorsqu’il n’allait pas à Saint-Germain, il se réunissait avec quelques amis à un cinquième étage, place des Cordeliers, chez son ami Lenoir. Des noms bien connus des Lyonnais, Journel, Bonjour et Barret (depuis prêtre et jésuite), tous caractères originaux et de bon aloi, en faisaient partie. J’allais y joindre, pour avoir occasion de les nommer à côté de leur ami, MM. Bredin et Beuchot ; mais on m’assure qu’ils n’étaient pas de la petite réunion même. On y lisait à haute voix le traité de Lavoisier, et M. Ampère, qui ne le connaissait pas jusqu’alors, ne cessait de se récrier à cette exposition si lucide de découvertes si imprévues.