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ILLUSTRATIONS SCIENTIFIQUES.

pas être dans les livres, et il se plaisait souvent à répéter que, dans ce travail solitaire de sa jeunesse, il avait appris autant de mathématiques qu’il en avait jamais su plus tard. À seize ans, il avait appris le latin de lui-même. Cette habitude de s’instruire par ses propres efforts, cette curiosité pour de nouvelles connaissances, ne l’abandonnèrent jamais ; M. Ampère étudiait toujours, apprenait toujours, et avait sur toutes choses des idées originales et des aperçus profonds. Avec un esprit de sa trempe et une méthode d’apprendre comme la sienne, il n’en pouvait pas être autrement.

On prétend que je ne sais quel mathématicien, après avoir entendu réciter des vers, demanda : Qu’est-ce que cela prouve ? Ce n’est pas M. Ampère qui aurait fait une pareille question ; il avait un goût inné pour la belle et noble poésie, et il n’avait rien trouvé, dans ses profondes études sur la physique et la philosophie, qui diminuât sa sensibilité pour le charme des beaux vers. Il est des esprits sourds à cette harmonie, comme il est des oreilles pour lesquelles la musique n’est qu’un vain bruit ; mais c’est une erreur de croire que l’étude des sciences émousse le sentiment de la poésie ; bien plus elles ont, quand elles atteignent certaines hauteurs, une naturelle affinité pour elle ; et ce n’est pas sans avoir entrevu cette vérité, que le grand poète de Rome a dit : « Heureux celui qui peut connaître la cause des choses. »

Notre temps présent, qui a été jadis de l’avenir, deviendra à son tour du passé ; et il arrivera une époque où toute notre science paraîtra petite. Ce que Sénèque a dit de son siècle, nous pouvons le répéter pour le nôtre : la postérité s’étonnera que nous ayons ignoré tant de choses. Le bruit des renommées ira en s’affaiblissant par la distance du temps, comme le son baisse et s’amortit par la distance de l’espace. Nos volumes, tout grossis par la science contemporaine, se réduiront à quelques lignes durables qui iront former le fond des livres nouveaux. Mais dans ces livres, à quelque degré de perfection qu’ils arrivent, quelque loin que soient portées les connaissances qu’ils renfermeront sur la nature, quelque élémentaire que puisse paraître alors ce que nous savons, une place sera toujours réservée au nom de M. Ampère et à sa loi si belle et si simple sur l’électro-magnétisme.


E. Littré.