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devait distinguer très bien l’action des évènemens. Mais en concevant Chatterton d’après une donnée décidément élégiaque, en ne laissant aux évènemens aucune part dans la fable dramatique, il a montré qu’il ne cherchait pas dans ses œuvres passées le type inviolable de ses œuvres à venir, et nous lui savons bon gré de cette mobilité. Si maintenant M. de Vigny se résout à écrire une troisième pièce, il est probable qu’il ne mettra plus les évènemens à la place de l’action, ni la pensée à la place de la vie. Il n’y a pas à craindre qu’il commette les fautes que nous avons reprochées à MM. Dumas et Hugo ; car il est séparé par un immense intervalle du drame sensuel et du drame splendide. Quoi qu’il fasse, il ne prendra jamais le désir pour la passion, ni le spectacle pour le développement des caractères. Qu’il prenne l’étoffe de ses créations à venir dans ses souvenirs personnels ou dans les récits de l’histoire, il ne perdra pas la délicatesse de son goût ; les habitudes de sa pensée, aussi bien que les habitudes de son style, nous sont un sûr garant qu’il ne désertera pas la cause du spiritualisme. Et ici, nous n’avons pas besoin de le dire, nous ne parlons pas de la question philosophique ; nous insistons seulement sur la tendance idéale commune à tous les ouvrages de l’auteur.

Nous avons dit toute notre pensée sur les hommes qui écrivent aujourd’hui pour le théâtre ; nous n’avons déguisé aucune de nos répugnances, aucune de nos sympathies. Sans doute, nous paraîtrons sévère au plus grand nombre ; mais les reproches qui nous seront adressés et que nous prévoyons n’ébranleront pas notre conviction. L’accusation de pessimisme est à nos yeux sans valeur et sans portée ; car ceux même qui n’osent publier l’opinion que nous professons ne se résoudraient pas à la réfuter. Ils partagent notre avis et n’osent l’avouer ; ils demandent s’il est utile de dire tout haut ce qu’on pense tout bas ; nous nous prononçons hardiment pour l’affirmative, car l’étude des questions littéraires serait évidemment une étude absurde, si la méditation ne devait aboutir qu’au silence. À quoi bon discuter avec soi-même le sens et le mérite des œuvres poétiques si l’on renonce au droit de dire la conclusion à laquelle on est arrivé ? Se taire sur ces questions, ou du moins les poser sans les résoudre, est peut-être le moyen de se faire à bon marché une réputation de bonhomie ; mais les ami-