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porter vers la France, la tentative récente d’une compagnie de Bruxelles pour instituer une caisse hypothécaire à l’usage de nos propriétaires fonciers. Des capitalistes belges ne sont-ils pas encore intéressés dans l’entreprise du chemin de fer de la frontière à Paris ?

Nous ne prétendons point que l’association commerciale de la France avec la Belgique n’exigera le sacrifice d’aucun intérêt individuel ; il nous suffit de savoir et de montrer qu’elle sera pour le plus grand nombre un immense bienfait. Nous vivons sous l’empire d’un faux système qui consiste à garantir de tout choc et de toute concurrence efficace les intérêts les plus mal assis, à décerner aux existences les plus factices ou les plus rachitiques un brevet de longue vie. Ce malentendu ne saurait cesser trop tôt. Dans l’ordre de l’industrie, comme dans l’ordre de la nature, la faculté de produire n’appartient qu’à la force ; les faibles et les incapables sont à l’avance condamnés. La question est de savoir si l’on veut aujourd’hui les immoler à la société, ou leur immoler la société.

Au nombre des victimes que ferait le traité d’union, il faut compter l’industrie fort peu littéraire et fort peu morale de la contrefaçon. La Belgique ne gagnerait pas moins que la France à détruire ces habitudes de pillage. La contrefaçon ruine les libraires de Paris, et étouffe à Bruxelles toute littérature nationale. Un spéculateur belge qui peut imprimer, sans autres avances que celle du papier et de la main d’œuvre, les poésies de Lamartine, les romans de G. Sand, les travaux historiques de Guizot, de A. Thierry, de Michelet, la Revue des Deux Mondes et la Revue de Paris, n’ira point acheter le manuscrit de quelque poète ou de quelque historien indigène dont le nom n’est pas connu ni le succès certain. D’un autre côté, comment un éditeur parisien pourrait-il rémunérer dignement la pensée et le travail lorsqu’il sait que, pour chaque édition originale, la contrefaçon en publie souvent deux qu’elle répand à vil prix en Belgique, en Allemagne, en Angleterre et en Russie ? La clientelle de notre littérature est à l’étranger au moins autant qu’en France. Que sert cela, si la contrefaçon belge, s’emparant de nos productions, en inonde pour son compte le reste de l’Europe ? En détruisant ce commerce de frelons, nous rendrons à la Belgique son indépendance et sa spontanéité littéraires, à la littérature française tout un domaine de lecteurs et de cliens. Et qu’importe