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appartiennent les sphinx de Thèbes, saint Jérôme, Tertullien, saint Hilaire, les hymnes et les proses ecclésiastiques, les trouvères, les mystères, les crucifix de Cimabuë. Aux époques où naît le scepticisme appartiennent les marbres du Parthénon, l’Antinoüs, Michel-Ange, Raphaël, Arioste, Shakespeare, Milton, Cervantes, Pascal, Molière, Racine, La Fontaine, Voltaire. De quel côté sont les croyans ? de quel côté sont les artistes ?

Ne confondez donc plus la religion et l’art, si vous ne voulez les détruire l’un et l’autre et l’un par l’autre. On demande aujourd’hui à l’artiste d’être prêtre, c’est-à-dire de n’être ni prêtre ni artiste. Quant au poète, il ne lui est plus permis de rimer un couplet sans affirmer quelle est sa foi en matière d’ontologie, ce qu’il affirme touchant l’origine de la terre et du soleil, de la mer et des étoiles, du travail et du salaire, d’Ormuzd et d’Ahriman. Profondeur fausse et décevante, mère de frivolité et d’impiété réelle.

De là aussi il est résulté que notre époque, en qualité d’hérétique, a été mise à l’interdit, et comme telle livrée au bras séculier. Ce siècle a trouvé, parmi nous, un nombre infini de prédicateurs, qui, la corde au cou, le cilice aux reins, et portant d’avance le deuil de leur propre génie, vont prêchant la fin du monde, à savoir : de la jeunesse qui les quitte, de la beauté qu’ils ont perdue, de l’amour qui les fuit, de l’espérance qui les abuse. Et de cette somme effroyable de sermons, mandemens, homélies, il est resté démontré : premièrement, que rien n’est plus chétif que la vue du monde ébranlé, par trois fois en moins de trente ans, jusqu’en ses fondemens, par la révolution française ; tant d’assemblées fameuses, de grands courages, d’échafauds bravés, de révoltes vaincues et ranimées ; tant de rois en exil et mourans sans tombeaux ; tant de batailles rangées sur terre et sur mer ; aux deux bouts de la chaîne, l’Amérique et la Grèce affranchies ; un empire détruit en une nuit, et partout la paix plus inquiète que la guerre ; deuxièmement, que rien n’est plus anti-poétique ni plus indigne de l’examen d’un galant homme que l’époque qui a réuni, dans un même chœur diabolique, Goëthe, Byron, Klopstock, Alfieri, André Chénier, Schiller, Chateaubriand, Wieland, Mme de Staël, Herder, Lamartine, Uhland, Manzoni, Walter Scott, Coleridge, Hugo, Wordsworth, Tieck, Jean Paul, La Mennais, Béranger, le tout couronné par le roi des nains, Napoléon !


Ed. Quinet.