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HISTOIRE DE VITTORIA ACCORAMBONI.

elle allait jusqu’à une véritable folie ; sa belle-mère, Camille, et le cardinal Montalto lui-même, semblaient n’avoir d’autre occupation sur la terre, que celle de deviner les goûts de Vittoria, pour chercher aussitôt à les satisfaire. Rome entière admira comment ce cardinal, connu par l’exiguïté de sa fortune, non moins que par son horreur pour toute espèce de luxe, trouvait un plaisir si constant à aller au-devant de tous les souhaits de Vittoria. Jeune, brillante de beauté, adorée de tous, elle ne laissait pas d’avoir quelquefois des fantaisies fort coûteuses. Vittoria recevait de ses nouveaux parens des joyaux du plus grand prix, des perles, et enfin tout ce qui paraissait de plus rare chez les orfèvres de Rome, en ce temps-là fort bien fournis.

Pour l’amour de cette nièce aimable, le cardinal Montalto, si connu par sa sévérité, traita les frères de Vittoria comme s’ils eussent été ses propres neveux. Octave Accoramboni, à peine arrivé à l’âge de trente ans, fut, par l’intervention du cardinal Montalto, désigné par le duc d’Urbin et créé par le pape Grégoire XIII, évêque de Fossombrone ; Marcel Accoramboni, jeune homme d’un courage fougueux, accusé de plusieurs crimes, et vivement pourchassé par la corte[1], avait échappé à grand’peine à des poursuites qui pouvaient le mener à la mort. Honoré de la protection du cardinal, il put recouvrer une sorte de tranquillité.

Un troisième frère de Vittoria, Jules Accoramboni, fut admis par le cardinal Alexandre Sforza aux premiers honneurs de sa cour, aussitôt que le cardinal Montalto en eut fait la demande.

En un mot, si les hommes savaient mesurer leur bonheur, non sur l’insatiabilité infinie de leurs désirs, mais par la jouissance réelle des avantages qu’ils possèdent déjà, le mariage de Vittoria avec le neveu du cardinal Montalto eût pu sembler aux Accoramboni le comble des félicités humaines. Mais le désir insensé d’avantages immenses et incertains peut jeter les hommes les plus comblés des faveurs de la fortune, dans des idées étranges et pleines de périls.

    de Vittoria Accoramboni. D’assez bons sonnets ont été faits dans le temps sur son étrange destinée. Il paraît qu’elle avait autant d’esprit que de graces et de beauté.

  1. C’était le corps armé chargé de veiller à la sûreté publique, les gendarmes et agens de police de l’an 1580. Ils étaient commandés par un capitaine appelé Bargello, lequel était personnellement responsable de l’exécution des ordres de monseigneur le gouverneur de Rome (le préfet de police).