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draient ceux imprimés, composés par des hommes qui savaient le grec et le latin. Mais ma belle chantait une chanson faite, disait-on, par le fils d’un petit laird de campagne sur une des filles en service chez son père, et dont il était amoureux ; et je ne voyais pas pourquoi je ne pourrais pas rimer aussi bien que lui, car, excepté qu’il savait marquer les brebis et jouer au palet, son père vivant dans les marais, il n’était pas plus savant que moi.

« Tel fut mon début en amour et en poésie, ma plus vive et parfois ma seule jouissance. Mon père, à force de courage, ayant atteint l’époque de la résiliation de son bail, entra dans une plus grande ferme, environ dix milles plus loin dans le pays. Son marché était de nature à lui procurer quelque peu d’argent comptant au commencement de son bail : autrement l’affaire eût été impraticable. Pendant quatre années, nous y vécûmes assez à notre aise. Mais une difflculté s’étant élevée entre lui et son propriétaire, après avoir été ballottés trois ans dans le tourbillon de la chicane, mon père fut sauvé tout juste des horreurs d’un emprisonnement par une consomption qui, après deux années de promesses, voulut bien le visiter enfin, et l’emporter « où les méchans cessent de tourmenter, et où les fatigués sont en repos. »

« C’est à l’époque où nous vécûmes sur cette ferme que ma petite histoire est le plus remplie d’événemens. Au commencement de cette période j’étais peut-être le garçon le plus emprunté, le plus gauche de la paroisse. Nul solitaire n’était moins au fait des voies du monde. Ce que je savais d’histoire ancienne, je le tenais des grammaires géographiques de Salmon et de Guthrie ; et les idées que je m’étais formées sur les mœurs modernes, sur la littérature et la critique, je les devais au Spectateur. Ajoutez-y les œuvres de Pope, quelques pièces de Shakspeare, Tull et Dickson sur l’agriculture, le Panthéon, l’essai de Locke sur l’Entendement humain, l’Histoire de la Bible de Stackhouse, le Guide du jardinier breton, par Justice, les Leçons de Bayle, les œuvres d’Allan Ramsay, la Doctrine de l’Écriture sur le péché originel, par Taylor, un recueil choisi de chansons anglaises et les Méditations d’Hervey, et vous aurez toutes mes lectures. Le recueil de chansons était mon vade mecum. Tout en conduisant ma charrette, ou me rendant à l’ouvrage, je les dévorais, chanson par chanson, vers par vers, dis-