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j’étais reçu avec faveur, et tantôt mortifié par ses dédains. À la charrue, la faux ou la faucille, je ne crains aucun rival ; je défiais donc l’indigence ; et, comme je ne pensais jamais à mes travaux au-delà des heures où je m’y livrais, je passais la soirée selon mon cœur. Un jeune campagnard mène rarement à bien une intrigue d’amour sans l’assistance d’un confident. J’avais de la curiosité, du zèle, et une dextérité intrépide, qui me recommandaient comme un second fort utile dans ces occasions ; et je crois que c’était pour moi un plaisir aussi vif d’être dans le secret de la moitié des amours de la paroisse de Tarbolton, qu’à pas un homme d’état de savoir les intrigues de la moitié des cours de l’Europe. La plume d’oie que je tiens semble elle-même connaître instinctivement le sentier si fréquenté de mon imagination, le sujet favori de mes chants ; et ce n’est pas sans difficulté que je l’empêche de vous donner quelques paragraphes sur les aventures amoureuses de mes compagnons, humbles hôtes de la ferme et de la chaumière ; mais les graves filles de la science, de l’ambition ou de l’avarice, baptisent ces choses du nom de folies. Pour les enfans du travail et de la pauvreté, rien au monde de plus sérieux ; pour eux, l’ardent espoir, l’entrevue dérobée, le tendre adieu, sont les plus grandes et les plus délicieuses de leurs jouissances.

« Une autre circonstance de ma vie, qui modifia quelque peu mon esprit et mes mœurs, c’est que je passai ma dix-neuvième année sur une côte pleine de contrebandiers, à une bonne distance de notre logis, dans une école fameuse, pour y apprendre le mesurage, l’arpentage, la gnomonique, etc. Mes progrès y furent satisfaisans ; mais j’en fis plus dans la connaissance des hommes. Le métier de contrebandier était excellent à cette époque, et il m’arriva plusieurs fois de me trouver parmi ceux qui l’exerçaient. Leurs débauches bruyantes et leurs rixes étaient des scènes toutes nouvelles pour moi ; mais je n’étais en rien ennemi de la vie sociale. Quoique j’apprisse d’eux à remplir mon verre, et à me mêler sans crainte dans une bagarre d’ivrognes, je n’en avançais pas moins d’un bon pas dans ma géométrie. Mais lorsque le soleil entra dans le signe de la Vierge (c’est pour mon cœur le mois du carnaval ), une séduisante fillette, qui demeurait tout à côté de l’école, renversa ma trigonométrie, et me déplaça par la tangente de la sphère de mes études. Je luttai pourtant quelques