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je lui dis que je ne pouvais deviner quel en était l’auteur, mais qu’elle ne me semblait pas manquer de talent. Une certaine description du clergé aussi bien que des laïques obtint un tonnerre d’applaudissemens. La prière de saint Willie fit ensuite son apparition, et alarma la fabrique au point qu’il y eut plusieurs séances pour examiner si, dans son artillerie spirituelle, on ne trouverait rien à pointer contre les profanes rimeurs. Malheureusement pour moi, mes erreurs m’amenèrent, d’autre part, juste dans la direction de leur plus lourde décharge. C’est cette déplorable histoire qui donna lieu à mon poème imprimé, la Lamentation. Ce fut une bien triste affaire, dont je ne puis encore supporter la pensée, et qui faillit me doter d’une ou de deux des conditions principales pour être classé parmi les pilotes qui ont perdu la carte et se méprennent dans leur estime de la raison. J’abandonnai à mon frère ma part de notre ferme. En réalité, elle n’était mienne que nominativement, et je fis le peu de préparatifs que je pouvais pour passer en Jamaïque. Mais avant de quitter pour toujours mon pays natal, je résolus de publier mes poèmes. J’appréciai mes productions avec autant d’impartialité que possible : je leur trouvai du mérite ; et l’idée que l’on m’appellerait un habile garçon était délicieuse, bien que cet éloge ne dût pas parvenir jusqu’à moi, misérable gardeur de nègres, ou peut-être victime de ce climat inhospitalier, et parti pour le monde des esprits ! Dans ma sincérité, je puis dire que, pauvre inconnu que j’étais alors, j’avais à peu près une aussi haute idée de moi-même et de mes ouvrages qu’aujourd’hui où le public s’est prononcé en leur faveur. J’ai toujours été d’avis que les mille erreurs et bévues qui se commettent journellement sous le double point de vue rationnel et religieux viennent de l’ignorance de soi-même — Me connaître avait toujours été mon étude constante. Je me pesais à part moi ; je me comparais avec les autres ; j’épiais tous les moyens de savoir la place que j’occupais comme homme et comme poète ; j’étudiais assidûment le dessein de la nature en me formant, et l’intention des lumières et des ombres de mon caractère. J’avais la confiance que mes poèmes obtiendraient quelques applaudissemens : mais, en cavant au pire, le mugissement de l’Atlantique assourdirait la voix de la censure, et la nouveauté des spectacles de l’Inde occidentale me distrairait de l’indifférence. Je me défis de six cents exemplaires, sur lequel