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sincère ? Sans doute la manie de parler de soi est, depuis quelque temps, un des plus fâcheux ridicules de notre littérature, et le moi est devenu d’aussi mauvais goût dans les livres que dans le monde ; mais les lecteurs feront toujours une exception en faveur d’un talent supérieur, et ses confidences ne seront jamais écoutées sans un vif intérêt.

ii.

Bienheureux les poètes ignorans, le royaume des cieux leur est ouvert : ils ne voient pas la nature à travers les lunettes des livres, comme le dit par expérience le spirituel Dryden ; ils ne consultent pas de poétiques, ils n’entendent rien aux théories, et ne sont enrôlés dans aucun parti littéraire ; ils marchent seuls dans leur sainte innocence ; leurs pieds ne s’embarrassent point dans les langes de l’école ; ils ne s’égarent point à la poursuite de lueurs trompeuses dans les bourbiers de l’imitation ; ils n’analysent ni ne décrivent ; ils sentent, ils aiment, ils chantent. La science étouffe l’instinct : heureux les poètes ignorans, ils peuvent dire comme le proverbe espagnol : Io soy quien soy, je suis celui que je suis.

Que de divines qualités Burns aurait perdues à être plus lettré ! Voyez son compatriote Thomson le didactique. La nature n’avait pas été avare envers lui ; mais il fut élevé à Édimbourg, mais il vécut à Londres ; et Dieu et les Saisons savent ce qu’il a perdu de son empreinte native au frottement des villes. Si Burns avait su le grec et le latin, il aurait peut-être cédé aux remontrances affectueuses de ce bon docteur Moore, qui lui recommande si instamment l’étude de l’antiquité, et qui lui reproche de gaspiller son génie, au lieu d’entreprendre quelque poème de longue haleine, où il pourra semer à pleines mains toutes les fleurs de la mythologie. Dans la crainte de restreindre le nombre de ses lecteurs, il se serait peut-être laissé persuader d’échanger son idiome naïf contre la banalité de la langue anglaise.

Mais, heureusement, il est ignorant, et les funestes conseils de ses amis sont perdus. Il restera fidèle à son écossais ; il n’embouchera pas la trompette anglaise en l’honneur des héros grecs ou romains. Il ne les connaît pas, il ne veut pas les connaître. Paysan écossais, que lui importe l’antiquité ? Mais la vieille Écosse, la