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souffrances. Oserai-je dire que l’auteur écossais a sur le français l’avantage d’un pays et d’une langue infiniment plus poétiques, que son essor l’emporte plus souvent au-dessus des régions de la poésie comique, que sa versification est plus ferme, et son style coloré de plus d’images. Cette opinion, j’en ai peur, révoltera, chez beaucoup de gens, l’amour-propre national ; mais qu’ils veuillent bien suspendre leur indignation et prendre connaissance des pièces du procès : peut-être une lecture attentive me justifiera-t-elle à leurs propres yeux. Malheureusement on ne lit guère, en France, les poètes anglais dans l’original, et à plus forte raison les écossais. Il serait bien à désirer, faute de mieux, qu’il parût une bonne traduction de Burns ; mais le public n’achète que la basse littérature, et il serait par trop déraisonnable de demander au gouvernement des fonds pour un objet aussi futile que la poésie.

Dans cet état de choses, je m’estimerai heureux si une analyse rapide et trop incomplète des principaux poèmes de Burns, entremêlée de citations, décidait quelques amateurs de la vraie poésie à lire Burns, le glossaire à la main, et sans s’effrayer de difficultés qui sont loin d’être insurmontables. Je puis leur garantit d’avance qu’ils se trouveront amplement dédommagés de leur peine.

Dans la vision, the Vision, petit poème en deux chants, Coïla, la muse champêtre de l’Écosse, apparaît au poète. Sur son large manteau vert, il croit voir une terre bien connue, sa terre natale, avec ses rivières perdues dans la mer, ses montagnes perdues dans les nuages, et la race héroïque des Wallace terrassant les ennemis du sud, et l’ombre du vieux roi Coïlus errant à pas lents autour de sa tombe. D’un ton de sœur aînée, elle se révèle à lui comme la protectrice de son génie naissant, le réconcilie avec son humble rôle de poète rustique, l’encourage à la résignation et au dédain des richesses et de la faveur, lui recommande d’entretenir soigneusement sa flamme mélodieuse, de conserver la dignité de l’homme, et lui promet que le plan universel protégera tout ; — et à ces mots solennels, elle attacha le houx autour de la tête du barde ; les feuilles polies et les graines rouges bruirent en se jouant ; et comme une pensée fugitive, elle disparut dans un rayon de lumière.

L’idée du poème des Ponts d’Ayr, the Brigs of Ayr, lui a été suggérée, selon toute apparence, par celui de Fergusson, qui a pour