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REVUE. — CHRONIQUE.

dévoués qui composent sa garde. Elle est formée d’Arabes alliés (Houallas), de Zouaves et de Turcs soldés. La population de Constantine s’élève à trente ou quarante mille ames, avec un millier de juifs. La ville a dix-neuf cents maisons. Sur cette population, huit ou neuf mille hommes seulement sont en état de porter les armes. Hadji-Achmet, après en avoir fait le dénombrement, a remis à chacun d’eux vingt piastres pour acheter un fusil, et a ouvert un registre d’inscription, afin que ces fusils se transmettent de père en fils, et restent la propriété du beylik. On voit que Hadji-Achmet vient d’organiser ainsi une véritable garde nationale, qui sans qu’il s’en doute, sera plus occupée de défendre sa propriété dans un moment critique que de maintenir la domination du bey. Quinze à dix-huit cents hommes ont été affectés au service de l’artillerie ; ce sont des Turcs, des Koulouglis ou fils de Turcs, des Zouaves et des transfuges de Tunis, nizams. Ceux-ci sont au nombre de soixante.

Le bas peuple est animé d’un fanatisme violent contre les Français, qu’on accuse de vouloir détruire la religion mahométane ; mais la classe aisée et les grandes familles, parmi lesquelles on cite celles de Bel-Bajoni, du kaïd Addar, chef de la ville, Oubd Sidi scheïk, premier saint de Constantine, et le kadi de Hanaf, sont bien disposées pour nous. Elles s’étaient même compromises dans la première expédition, et deux membres de cette classe, El Morabet El Arabi et Sidi El Houessin, furent décapités après notre retraite. D’un autre côté, les Arabes ne sont pas très dévoués à Hadji-Achmet ; les Zouaves peuvent réunir dans leurs montagnes (Gibel Flis) 60,000 hommes de guerre bien armés ; mais ils ont déclaré qu’ils voulaient rester neutres, et cette circonstance est très favorable pour nous. Les armes sont très recherchées à Constantine, et la poudre y est si rare, qu’on la paie 4 piastres le rottili qui équivaut à une livre, et qu’on a peine à en trouver. Un seul Européen se trouve à Constantine : c’est un marchand génois ; quant aux soldats de la légion étrangère, on les a tous forcés à embrasser la religion mahométane. Mais ce n’est pas seulement par les Européens qu’on peut se ménager des rapports dans le beylik de Constantine. Achmet-Bey ne s’appuie, en réalité, que sur la basse classe. Lui-même, il n’appartient pas à une tribu qui ait des liens intimes avec les classes élevées du pays. La tribu d’Achmet-Bey est celle d’Ouled Biayona, qui habite le revers des monts dans le désert, où le bey ne manquerait pas de se retirer s’il éprouvait un échec, et où peut-être il parviendrait à rallier contre nous les tribus des montagnes, qui sont nombreuses et bien armées, comme nous l’avons déjà dit. Ainsi l’on doit s’attendre à de nombreux combats, même après l’occupation de Constantine, et il est important de ne commencer cette expédition qu’en s’assurant de puissans moyens de conserver les avantages qu’on se serait procurés par les premiers combats.

Une lettre ultérieure de Tunis (du 12 février) nous apprend que le bey y éprouve aussi de grands obstacles. Le bey de Tunis a imaginé tout récemment d’imiter ce qui a lieu dans les villes de la côte, et de vouloir établir la conscription dans son beylik. À cet effet, il a fait faire un recensement de tous les jeunes gens de Tunis, depuis l’âge de vingt ans