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chaînes de montagnes, et où l’hiver est inconnu dans les vallées. Aussi la Russie, qui payait, en 1825, 46,609,807 roubles à l’étranger pour ses achats de cotons bruts et manufacturés, a vu réduire chaque année cette somme, au point que dans six autres années, elle pourra peut-être exporter les cotons de ses provinces du Caucase. — Pour le vin, en 1830, 60,000 chariots chargés d’outres (ce système grossier disparaît déjà), avaient été conduits à Tiflis. Un chariot porte trois outres, chaque outre renferme 600 bouteilles, total 108,000,000 de bouteilles. La vigilance du gouvernement et sa sollicitude ont déjà tellement perfectionné et étendu cette branche d’industrie, que le vin du Caucase, envoyé de Baka par Astrakan, à Moscou, se vend dans tout le nord de la Russie, où se vendaient, il y a peu d’années, des vins de France. Un voyageur estimé (Marschall), dans un tableau des provinces situées entre les fleuves Tarek et Kour, critique le mode de culture de la vigne dans ces contrées ; mais il ajoute : « Je suis persuadé que des vignerons habiles et assidus ne manqueraient pas d’obtenir, surtout dans les montagnes entre les deux Chamakhis, des vins qui peut-être ne le céderaient pas de beaucoup aux vins rouges de la France. » — Or, ces procédés s’introduisent chaque jour, et quand une route commerciale sera tracée entre les villes au-delà du Caucase vers Redoute-Kale, d’un côté sur la mer Noire, et vers Baku de l’autre sur la mer Caspienne, les vins et toutes les marchandises du pays afflueront à Odessa et dans la Turquie, comme à Astrakan et dans tout l’empire. Alors la garance, qui n’est nulle part aussi belle et en aussi grande quantité que dans les montagnes d’Ourmij ; le safran, qu’on cultive en si grandes masses à Derbend et à Bakor ; la soie, qui est indigène dans les provinces du Caucase, où un fabricant français y opère à lui seul une manipulation de 30,000 poudes (40 livres) de cette matière ; la soie, dont les Russes ont appris la tordaison, le tramage et l’organsinage, grace aux agens qu’ils ont envoyés en Piémont et dans nos provinces du midi ; le coton, qui s’améliore chaque jour par une meilleure culture, iront concourir à l’affranchissement de l’industrie russe, en approvisionnant les nombreuses fabriques de Moscou et de toutes les provinces environnantes, d’où ces produits, travaillés à si bon marché, reviendront en partie vers la côte de Mingrelie, pour traverser la mer Noire, et se répandre dans la Turquie, dans la Grèce et dans tout le midi de l’Europe. C’est ainsi que la Russie devient réellement menaçante pour les nations qui se fortifient contre elle, parce qu’elles s’attendent à la voir s’avancer avec des baïonnettes et des canons, tandis qu’elle s’apprête silencieusement à fondre sur l’Europe avec des soieries, avec des tissus de laine et des toiles de coton !

Mais ce grand mouvement commercial de la Russie, qui doit lui donner ce qui lui manque, le crédit, ne peut s’opérer que par la possession tranquille de tout l’isthme qui sépare la mer Caspienne et la mer Noire, où se trouvent au côté occidental du Caucase, cette côte d’Abasie et ce pays Tcherkesse qui résistent encore. Ce point gagné, la Russie aura vu couronner l’œuvre de sa patience, d’une patience de cinquante ans ! Mais ces longues combinaisons, dont les résultats ne s’accompliront que dans un certain nombre d’années, ne sont pas faites pour être combattues par une politique viagère comme celle de l’Angleterre et de la France ; la gigan-